let's get physical (pia)

Simon reprend son service en trainant des pieds. Le bar est vide, le temps est long. Les rares clients qui vont et viennent dans l’établissement ne restent jamais assez longtemps qu’il puisse s’en intéresser. Si encore y’a de quoi s’amuser, une ou deux petites vieilles, trois ou quatre étudiantes, cinq ou six jeunes hommes, Simon aurait au moins pu se refaire un petit budget, mais c’est même pas le cas. Il est encore trop tôt pour l’apéro. C’est mort, à tel point que son patron, habituellement très présent, se dérobe à la première occasion et lui laisse quartier libre. Simon tient bien la barre, c’est un bon commerçant en plus d’être un bon bosseur alors y’a aucune raison de s’inquiéter – ah, si seulement il savait. Evidemment, le barman ne montre rien de son double business, et quand il parait avenant et bienveillant avec les autres, c’est toujours avec un intérêt certain pour les jolis billets mais ça, c’est évidemment quelque chose qu’il évite de dire.
Simon lâche des sourires de convenance, pas le moins du monde sincère, volontairement forcé, surtout par flemme de faire semblant, de jouer au bon servant. Il n’y gagne rien dans ces échanges, pas quand il n’y a personne à impressionner. Il range quelques verres, sert des petites bières, même pas les cocktails un peu trop corsés qu’on lui demande à la nuit tombée. Si on lui avait dit un jour qu’il s’emmerderait autant dans la vie, il aurait peut-être fait plus attention à sa carrière. Il se serait abstenu d’être un con fini et aurait acquiescé aux conneries déblatérées par les producteurs, les réalisateurs, son agent. Ugh.
Tandis qu’il débarrasse une table, la porte d’entrée s’ouvre pour laisser entrevoir une femme qu’il reconnaitrait entre mille. Avec sa dégaine de diva, sa coiffure relevée et sa silhouette guindée, on peut difficilement l’oublier. Par son apparition divine, Pia parvient à illuminer le visage de Simon d’un franc sourire. Ah, celle-là. Elle n’aura pas attendu pour revenir. Evidemment qu’il se doutait qu’elle reviendrait, mais pas si vite. Il pensait qu’elle attendrait un peu, histoire de redescendre, ou d’imaginer une revanche stupide. Même pas. Elle lui fait déjà face, et elle a l’air très en colère. Simon ne relève pas, il décide de faire abstraction de sa mauvaise humeur pour lui offrir un bel accueil. Forcément, après le sale coup qu’il lui a fait, il ne peut qu’être fier, ce p’tit con. « Déjà de retour ? J’pensais pas que t’en redemanderais si vite. » Lance-t-il à la dérobée, de manière totalement innocente, comme un gosse beaucoup trop content de sa connerie. « J’te sers quelque chose ? » Histoire de faire passer la pilule ?

Pia entre et explose comme une bombe, s’exclame et s’esclaffe comme une folle furieuse, prête à tout valser d’un claquement de doigts. Elle l’a mauvaise, mais qui ne l’aurait pas ? Simon se paie le luxe d’une vengeance après une adolescence médiocre, jetée à la gueule d’une diva aussi haute que trois pommes. Le bolosse, qu’elle disait. Il ne savait pas si elle s’en souvenait mais au sourire qu’elle lui avait dégainé et aux baisers fougueux qu’ils avaient sacrément échangés, il avait bien vite compris. Et il en a joué, héros des temps modernes, bravant son envie d’accrocher son portrait parmi les quelconques autres conquêtes d’une nuit pour s’envoler comme une poussière au milieu d’une tempête de sable.  Ah, ce que c’était drôle, quand même. Ca l’est toujours, quand elle le pique au milieu d’un bar subitement trop calme. Simon a ce sourire des beaux jours, le sourire de l’idiot bienheureux bien malgré lui. Impossible de cacher sa fierté de l’avoir entubé. Qu’est ce qu’on dit ? Œil pour œil, dent pour dent ? Ouais, c’est bien ça. Fallait voir plus grand, Pia. Fallait déceler l’étincelle dans ses yeux et comprendre qu’emmerder un Simon Bowen, c’est se le taper des années plus tard -et certainement pas de la manière dont elle aurait voulu. « T’as l’air sacrément sur les nerfs. » Qu’il lance, la fière allure. A croire qu’on lui aurait fait un sale coup à celle-là. Qu’il jubile, ce petit con, à la voir grincer des dents quand lui, se prend pour le roi du monde ; mais ne l’est-il pas ?
« Quel téléphone ? » Son portable, il l’a encore dans ses affaires, perdu dans l’une des poches de sa veste. Faut dire qu’il n’a pas pu s’en empêcher. En le voyant trôner fièrement sur la table, il s’est permis, comme ça, comme il le fait toujours avec les jolies filles un peu trop faciles. C’est pas de sa faute, elle aurait dû faire plus attention. On lui a pas dit qu’il ne fallait jamais faire confiance aux inconnus ? Aussi vite pensé, aussi vite pris, Pia n’y a vu que du feu. Oups. Et il n’est même pas désolé, parce que la voir s’agacer et taper du pied, ça n’a pas de prix. Simon quitte son comptoir, s’éclipse sans un mot pour rejoindre les vestiaires et attraper sa veste jetée à la volée sur une chaise. Quand il revient vers elle, Pia n’a pas bougé. « Celui-là ? » Demande-t-il, le téléphone à la main, l’air triomphant sur le visage. Avant qu’elle ne puisse lui arracher des mains, il lève son bras, de sorte à ce qu’elle ne puisse l’atteindre si facilement. « Tu penses quand même pas que j’vais te l’rendre comme ça ? J’suis pas un mec facile, ça se mérite. » Parce que Simon n’est pas aussi con qu’il en donne l’air. Puisqu’elle a fait tout ce chemin et qu’elle a l’air d’y tenir, c’est qu’il y a autre chose à en tirer.          

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