poor impulse control (max)

Elle tuerait pour une clope, Magdalena. Mieux encore, un verre de vin et un brin de poudre dans lequel se perdre. Dans lequel laisser son esprit s’évader tandis que son corps reste terré au creux de son antre, la bête cachée aux regards des humains. Les plaies purulentes de l’âme qui ne semblent pas vouloir guérir. Ces lésions que l’animal hématophage empêche de cicatriser à coups de langue rageurs, les bariolant de sa salive empoisonnée. Brûlée par la colère, l’angoisse et les spectres. Des visages et des rires en écho dans sa boîte crânienne, ceux qu’elle ne mérite plus, ceux qu’elle a peur d’oublier. Tous les jours sont fastidieux. Elle semble errer d’aubes en crépuscules, sans autre but que celui de se maintenir approximativement en vie. Une mission crevée dans l’oeuf. Un jour de douleur après l’autre. Et la trouille aux tripes, le sursaut de dégoût pour elle-même. La frayeur d’oublier son fils, que son image s’efface de sa mémoire et peu à peu perdre le souvenir du son de sa voix. Ce n’est qu’un vague signe caustique de la vie, méprisante et railleuse, lui envoyant la certitude qu’elle n’est pas morte. Qu’elle est tragiquement en vie. Mais l’absence de l’enfant n’est jamais moins douloureuse. Tout au plus elle s’habitue à la peine sourde brodée sur son coeur, ce qui ne la terrorise pas moins. Une épouse sans son mari devient une veuve. Veuve triste, veuve noire, veuve libérée. Mais s’il ne se trouve pas de mot pour décrire un parent perdant son enfant, c’est bien car cela n’a rien de naturel. Cela ne doit pas exister. Elle ne devrait pas être ici, sur le fleuve de sa vie. Magda n’est qu’une anomalie claudicante, hérissée en douleur, à peine maintenue sur ses deux jambes par l’arrogance de sa tragédie. Les hématomes de son coeur ne se résorberont a priori jamais et continueront de diffuser leur douleur au moindre mouvement. Elle regrette de ne pas avoir ajouté quelque chose de plus fort à son café piteusement tiède. De ne pas avoir subtilisé la fiole de Max avant qu’il n’enfile sa veste au moment de quitter le poste. Celle qu’il a l’air de croire qu’elle ne voit pas. Mais elle inspire. Souffle. S’ennuie. Les planques sont la majorité du temps ennuyeuses d’après elle, une quantité monstre de caféine et de mauvaise nourriture pour des résultats bien en dessous de l’effet escompté. Mais elle trouve les descentes parfois pires. Dépendantes de mouvements extérieurs, des brigades dans l’attente, la concentration en exergue pendant trop longtemps, l’adrénaline au bord des lèvres. Celle qui justifie leur métier. Il n’y a plus qu’à attendre que le poisson qu’ils espèrent ferrer se laisse tomber dans la toile d’araignée qu’ils ont tendue autour de lui. Avec un peu de chance et si tout se déroule comme prévu, ce sera le requin en personne qui se présentera. Le froid hante l’habitacle, se gausse de ces flics dans l'expectative, coincés à bord de leurs véhicules banalisés. La radio crépite à intervalles irréguliers mais jamais n’annonce la petite friture en approche. Son regard clair se perd quelques secondes sur la façade de la grande maison illuminée par un insolent soleil couchant. Celui qui ne se montre qu’en fin de journée, après avoir refusé d’être vu tout le long de son trajet diurne. Celui qui ne suffit pas à dissiper les températures basses et qui ne sera déjà qu’un souvenir d’ici quelques minutes. « Mon royaume pour une clope. » Du sarcasme shakespearien qu’elle grogne plus pour elle-même que pour son taciturne coéquipier, sachant pertinemment à quel point il serait idiot de faire dérailler l’équipée à cause de l'incandescence d’une cigarette dans la nuit tombante. La dernière gorgée de son café envolée, le thermos qui sonne désespérément vide, son siège lui laboure les lombaires et le froid lui mord la chair. Elle soupire, regarde sa montre pour la énième fois. « Il a pas dit que son patron serait là avant vingt heures ton indic ? Ca fait plus d’une heure qu’on attend. Les gars vont perdre patience et commencer à raconter des blagues salaces à la radio, et j’ai pas envie d’entendre ça. » Elle le charrie, grinçante, consciente qu’elle lui doit en grande partie d’être de nouveau sur le terrain. Peut-être aussi car ils sont respectivement les seuls à se supporter en équipe. Nul doute que les collègues parient déjà pour savoir lequel dévorera l’autre lors d’un accrochage dantesque à en ébranler le poste. Ou bien lequel claquera la porte en premier.

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