le masque est si charmant, que j'ai peur du visage. ; conway

Naufragé parmi tant d’autres dans un de ces bistrots délabrés dans lesquels il s’échoue plus souvent qu’il ne le voudrait ces derniers temps, Conway observe le triste spectacle des âmes en perdition autour de lui. Lui ne s’était pas échoué là pour vider l’eau de sa barque avec un seau troué en se tordant les boyaux avec de l’alcool bon marché, mais bien par pure fascination malsaine. Il savait qu’elle avait pour habitude de venir passer son temps ici, véritable asticot prêt à se repaitre du désespoir de cet amas de chair aussi avariée qu’alcoolisée qui se réunissait là, tout comme il connaissait les travers auxquels elle s’adonnait dans l’arrière-boutique poussiéreuse de sa bibliothèque lorsqu’il avait tenté une première approche, sans même faire mine de s’intéresser aux bouquins qui meublaient les étagères. Si dans un premier temps, il était simplement venu pour vérifier ces informations vendues par quelques langues un peu trop bavardes, son intérêt s’était aussitôt retrouvé mordu par cette aura enivrante qu’elle dégageait, assez pour se perdre dans les méandres de la toile et dénicher d’autres anecdotes bien plus lugubres à son sujet.

Perspicace, la gamine ne tarde pas à le reconnaitre dans la masse et Conway ne ressent pas la moindre trace d’embarras alors qu’elle l’accoste, pas effrayée le moins du monde par cette ombre qui venait se glisser dans la sienne partout où elle allait.  Il n’essaie pas de se fondre en justifications dénuées de sens lorsque sa main se pose sur son épaule, se contente simplement de savourer silencieusement ce pas de plus par rapport aux fois précédentes où elle lui avait refusé toute forme d’interaction. Ton père, hein ? Conway relève à peine son mensonge, ne tourne même pas la tête pour tenter de détecter dans l’assemblée la présence de cette menace qu’il savait inexistante. Son père, mort, enterré au même endroit que sa mère et ses sœurs dont les vies avaient brutalement été ôtées par un frère à l’âme noircie par une haine bien trop vorace. Je ne voudrais pas avoir à écorcher ton narcissisme mais j’avais en réalité prévu de rentrer avec Barbara ici présente. Barbara, prénom d’emprunt pour cette créature plus tonneau que femme à l’haleine empestant le scotch et dont le regard terne ne cessait de les épier depuis que Reed l’avait rejoint au bar. Sans aucune retenue, Conway laisse ses prunelles s’imprégner de la beauté singulière de la môme avant d’offrir un sourire dédaigneux au barman tandis qu’il arrose Harris de son sarcasme. Champagne ou brandy ? Il hésiterait presque à lui refiler le verre encore plein qu’il avait commandé par principe et auquel il ne touchera pas par crainte que son eau de vie achetée bradée à la supérette du coin ne se retrouve brassée à l’eau de vaisselle mal rincée de son verre.

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