Heroes are made by the path they choose - Alma & Thea

|	Heroes are made by the path they choose Alma & Thea

—  La journée tirait sur sa fin. Enfin, tout était une question de perspective, s’amusait à penser Thea. Pour certains la journée ne faisait que commencer. La ville sage et bien propre tirait son rideau pour laisser place à un autre spectacle. Plus sombre. Plus décadent. Les activités nocturnes reprenaient leur place. Les joueurs, les fêtards, les corrompus, les dépravés, tous ces pions retrouvaient leurs vieilles habitudes. Comme si le reste de la journée n’avait été qu’une façade. Il était si facile de glisser d’un costume à un autre. Devenir quelqu’un d’autre. Retrouver sa liberté. Thea avait appris à ne plus les juger. Elle était néanmoins toujours frappée de l’attraction que ces milieux pouvaient susciter. Attirance parfois malsaine. Elle-même avait ses propres rechutes. La main nerveuse qui cherche le verre de trop qui lui permettra de sombrer dans une nuit sans rêve. L’étourdissement volontaire de la musique trop forte, des dizaines de personnes qui se faisaient centaine sous ses yeux. Oublier. Noyer sa souffrance comme on le pouvait. Enfermer toutes ses pensées trop amères dans un tiroir bien au fond de son cerveau. Les faire taire à coup de gin. Effacer son sourire moqueur qui l’obsédait. L’oublier tout simplement. Mais ce n’était pas si simple. Elle ne pouvait juger les autres pour ce qu’elle s’infligeait avec un certain plaisir. Les jugements mis de côté, il était plus facile d’essayer de comprendre. De compatir. Et surtout d’aider. Ce n’était pas un costume de super héro qu’enfilait Thea. Non. C’était le sens même de sa vie. Le pourquoi elle avait fini par s’engager dans cette voie. Toute la journée durant elle soignait, accompagnait les patients, les rassurait. Mais eux c’était les patients faciles. Les volontaires. Ceux qui n’avaient que quelques égratignures superficielles. Ce qui l’intéressait au fond c’était ceux qui s’enfonçaient seuls. Ceux que personne ne voyait. Ou ne voulait voir. Les laissés pour compte. Ceux que cette ville trop propre écrasait et ensevelissait dès que le soleil réapparaissait.

Pendant de longues années elle s’était raccrochée à cette activité. C’était son propre naufrage qui lui avait donné les tripes de le faire. Personne n’avait véritablement été là pour l’aider. Ou du moins pour lui apporter l’aide dont elle avait réellement besoin. Une fille de bonne famille. Dans sa chute vertigineuse elle en avait vu des visages compatissants. Soi-disant compréhensifs. Mais dans la pénombre, quand la nuit battait son plein, plus personne n’était là pour la ramasser au milieu des toilettes d’un bar miteux. Essuyer les traces de mascaras causés par une soirée trop arrosée. Lui proposer une simple cigarette avant de la border. Dans sa propre décadence elle avait croisé des regards. Des regards qu’on n’oublie pas. Ceux qui restent collés à nos rétines. Des femmes malheureuses et forcées d’abdiquer dans cette vie de débauche. Des hommes aux gueules cassées qui se doivent de rester la tête haute. Des gamins vautrés sur le sol, leur corps ne supportant plus le poids de leur misérable vie. C’était pour eux qu’elle enfilait ce costume de nuit.

Clope aux lèvres elle l’attendait. Les coïncidences de la vie lui avait permis de croiser ses pas quelques années plus tôt. Alma s’était avérée être une femme au caractère bien trempé, aux convictions avérées et sure de ce qu’elle faisait. La société avait besoin de femmes comme elle, bien que parfois leurs gestes et leurs bienfaits ne soient minimisés ou peu perçus. Theodora, elle, avait de suite accroché avec cette jeune femme qui n’avait même pas trente ans lors de leur première rencontre. A l’époque, encore en charge des urgences à l’hôpital public de Lewisburg, elle en voyait passer par dizaines chaque semaine. Des femmes amochées. Des enfants brutalisés. Des femmes qui souhaitaient mettre fin à leur vie misérable. Alma était quant à elle au début de sa carrière d’avocate, mais sa détermination la toucha. Avocate indomptable, ambitieuse mais loyale à ses propres convictions. Pas une de celle qui se fait graisser la pate pour baisser les yeux et accepter d’abandonner un dossier un peu trop pourri. En entendant des talons claquer sur le sol à quelques mètres d’elle, la jeune se retourna pour accueillir Alma d’un sourire heureux.

Je me demandais si tu me rejoindrais ce soir Alma…je craignais que ta pile de dossier en cours finisse par s’écrouler sur toi.

Pourtant en examinant d’un bref coup d’œil son acolyte qui venait de la rejoindre, elle fut saisi par la fatigue qui voilait le visage de son amie. Cigarette peut-être? Elle tira sur la sienne avec délice laissant son regard tomber sur les rues éclairées par les devantures des bars aux lumières aguicheuses. La soirée était déjà bien avancée mais la leur ne faisait que commencer. Theodora n’avait été que très vague dans ses explications envers Alma mais elle avait besoin de son aide et la chose pourrait ne pas être aisée à faire accepter par son amie.