freya & wane ☽ mai deux mille vingt.
rien.
il n'y a plus rien qui obstrue la vue du colosse effondré sur la couche des types qui n'osent plus franchir les frontières de cette intimité qu'ils ne savent plus conquérir. il est ce roi aux épaules lourdes de sable. roi écroulé, genoux à terre, aux portes d'un royaume sur lequel il ne règne plus. laissé à l'abandon, le lierre grimpe lentement sur
les jambes nues des piliers qui retiennent encore le ciel sombre. et les édifices s'embourbent en silence, les ronces s'immiscent entre les briques. il n'y a plus aucune paume pour arracher au somptueux les épines d'une vacuité toujours plus affamée.
alors le roi respire dans la boue, fait frémir de son souffle las quelques ondulations timides sur les flaques du canapé. sa main sale trempe sans vie sur le parquet.
il se meurt d'une guerre que personne n'a déclarée et se bat avec des fantômes aux visages souillés par le sang et le plomb. il gît aux pieds d'un tas de pierres qu'il croit muraille. l'effort est trop grand. pourtant, derrière la fumée des combats, il y a une femme aux
yeux tristes.
mais il n'y a plus rien, si ce n'est les cliquetis incessants qui viennent frapper tour à tour le crâne vide du cadavre mort hier soir, entre deux coussins. l'idée lui est venue, d'aller s'échouer sous les draps chauds d'un corps qu'il n'a pourtant plus touché. l'ivresse pour pitance, il s'est senti le courage au bout des pulpes de reprendre entre ses phalanges ce coeur qu'il a laissé tomber. une envie de grandeur, d'amour et de souvenirs. s'accaparer ce corps dont il a lui-même forgé la serrure et bouffé la clef.
mais l'idée est morte, elle aussi,
avec l'ivrogne sur le divan.
à la mélodie d'une manucure peu soignée s'ajoute la caresse d'une voix désirée, mais sonnant comme le glas d'une nuit grasse en utopies noyées. marshall ouvre des yeux aux cils collés, aux rétines grises et à la conjonctive terne. la joue s'extirpe du tissu dans lequel elle avait prit racine et les ruines se redressent après un passage de l'avant-bras sur les lèvres humides.
ça fait longtemps qu't'es là ? les mots se cognent dans un grognement tiré d'une trachée cramée par la nicotine mais elle seule possède les clefs du dialecte infâme de l'ivresse évaporée. les articulations sont dures et froides lorsqu'il s'assoit et enfile sans grâce le t-shirt venu mordre le coin de la table basse.
le roi en caleçon et t-shirt froissé.
dans la voix éraillée du promis, l'affection et la culpabilité qui s'embrassent. car il s'en veut d'infliger à ces saphirs la vision chaotique d'un fiancé dévasté par des secrets qu'il n'arrive pas à cracher.
la carcasse se lève et s'approche de la nymphe réfugiée en haut de son fauteuil. et les lippes gercées s'égarent furtivement,
pudiques, sur la tempe chaude contre laquelle il aurait imaginé faire battre son coeur cette nuit. il fuit ces yeux tristes et trouve refuge près de la machine à café, le nectar encore fumant et la démarche large et courbée de ces hommes trop forts pour se porter eux-même.
j'me suis dis que, la voix plus claire s'arrête le temps de mettre une paume sur une tasse et un peu de tact sur les mots,
j'me suis dis que t'aurais sûrement mieux dormi seule.
les rétines tombent avec le café et il n'ose relever le mufle. relever un regard dans le sien pour observer au fond de ses yeux comme il est pathétique, comme l'émerveillement de ce genou ployé s'est envolé avec le sable. il n'a plus vu ce sourire depuis longtemps, celui bordé de chantilly et aux lèvres saoules répondant un joyeux oui.