knockin' on heaven's door (kawther)

there are poems inside of you
that paper cannot handle

le brouhaha ambiant te semblait chaotique. symphonie à laquelle tu t'étais habituée au fur et à mesure des années. les premiers temps, la vie de nightclub te semblait invivable. trop de bruit, la lumière tamisée qui reflétait plus encore les néons en décoration. une impression désagréable de suffoquer, dans un lieu qui te paraissait de plus en plus étroit. mais l'héritage du kraken a fini par dompter ces sensations. tu avais mis de l'idée, du temps, de l'argent et beaucoup d'espoir à abonnir cet endroit qui était devenu tien, un peu par hasard. des années après, tu étais fier d'éprouver chacune des sensations du passée, mais surtout, de les aimer. le bruit, mélange indistinct de voix et de musique, faisait fleurir en toi une exaltation de réussite. les néons ne t'aveuglaient plus autant, aujourd'hui ils te donnaient même la vue, et avec elle, la possibilité d'entrevoir un présent et un avenir serein.

oui, le kraken marchait. mieux qu'avant, et tu l'espères, moins bien que demain. pourtant, ce soir, quelque chose clochait. ton regard vaguait de visage en visage, de sourire en sourire, de chevelure en chevelure. ton souffle s'arrêta un instant. mais il reprit, quand la jeune femme sur laquelle tu avais posé ton regard se retourna, et évapora avec elle tes espoirs. t'approchant du bar, l'air neutre, tu demandas à l'une des serveuses. "elle n'est pas revenue ?" en guise de réponse, un hochement de tête négatif et désolé. tu ne répondis pas non plus. cette courte conversation se suffisait à elle-même. sans un mot, tu retournas à ton bureau, pièce insonorisée -autant que possible dans un tel lieu- dans laquelle tu retournas à tes comptes. mais ton esprit était ailleurs. inconsciemment, tes pensées revenaient vers elle.

tu passas une mauvaise soirée. à la fois furieux et inquiet, tu t'endormis difficilement une fois le nightclub fermé. il était à peine neuf heures et quelques, quand tu sortis de chez toi. veste en cuir fine, pantalon noir et chemise blanche, tu aurais pu passer inaperçu à cette heure-ci de la matinée, si tu n'avançais pas avec une énergie aussi débordante. c'est presque en courant, que tu arrivais devant chez elle. tu guettais les sonnettes, avant de t'arrêter sur le nom de dascomb. soudain, tu hésitais. bloqué devant l'immeuble quelques courtes secondes, tu levas finalement une main ferme et sûre, appuyant sur le nom de ton employée. ta main trembla légèrement en redescendant, mais se calma une fois plaquée sur ton corps. à la fois éloignée et proche, une voix résonna.. un peu en toi aussi, comme étonné de l'entendre à nouveau. "c'est neo. bonjour." sans chaleur ni agressivité dans ta voix, t'espérais seulement voir la porte d'entrée s'ouvrir, et pouvoir trouver des réponses à tes questions.

la peur aux trousses, tout simplement. celle d'avoir fait voler en éclat la seconde chance de kawther. à la fois inquiet et méfiant, t'avais mis une pression non nécessaire à la jeune femme. non nécessaire, tu t'en rendais compte maintenant. la vérité te semblait vitale il y a quelques jours, comme si tu te posais en roi du monde, demandant la pure confiance des autres sans jamais oser donner la tienne. on connaissait ta vérité, la plupart du moins. on l'oubliait peu à peu, d'année en année, comme mirage lointain où il était désormais inutile de s'aventurer. mais malgré ton apparente confiance en toi et tes capacités, ton statut assumé et heureux de propriétaire, d'un homme nouveau ayant fait table rase d'un passé plus obscur. oui, malgré tout ça, tu avais une peur abominable, qui quand elle arrivait te prenait aux tripes et ne te lâcher plus, de tout perdre. sans le kraken, tu n'es rien. sans cette situation, tu n'es rien. et dans les hauteurs, tout peut s'effondrer rapidement.

alors tu as appris à te méfier, à questionner, à en demander beaucoup aux personnes qui travaillent pour toi. de l'honnêteté, avant tout, et de ne jamais entraver les affaires. et c'est là que la peur a surgi. t'as compris que quelque chose était trouble et inquiétant chez kawther, et tu t'es demandé si ça n'allait pas poser un souci pour ton entreprise, ta raison d'être. tu pensais faire le bon choix. c'est ce qu'on pense toujours. mais après plusieurs jours sans nouvelles, les regrets commencent à bouillir en toi. tout s'est renversé, et au final, c'est à la jeune femme que tu as fait peur. t'en es presque certain. t'es devenu tyrannique, le temps d'un interrogatoire qui n'aurait pas eu lieu d'être, même si tes desseins n'étaient pas mauvais.

chacun a le droit à son passé, son intimité, et ces derniers n'interfèrent pas forcément avec toi ou tes projets. mais difficile à digérer, quand on est parti de rien et de loin, et qu'on a accéder par pur hasard à un trône qui te scie parfaitement. tu ne sais pas pourquoi tu es venu, ce que tu auras à lui dire. il y aurait tant de choses, et si peu. t'as perdu le fil de tes pensées, de tes réflexions, t'as perdu la tête. non, tu ne sais pas quoi faire ou quoi dire : si tu dois t'excuser ou te montrer encore ferme ; si tu veux de nouvelles explications ou tout oublier. tout ce que tu sais, c'est que tu ne la veux pas aussi loin de toi. sa voix, te ramène à la réalité. son souffle, te ferait perdre un peu plus la tête. tu attends, mais rien ne vient. ni réponse, ni permission d'entrer. juste ce souffle. "je venais voir si tout allait bien." tu continues de parler, ne sachant même pas si elle t'entend encore. tu mises tout sur le son éloigné de sa respiration. tu te retrouves rapidement sans savoir quoi dire ensuite. forcer, ou s'en aller ? ton instinct te dit qu'il n'y a pas de bonne réponse à cette question. "je -" tu quoi ? parler pour parler, ça ne rime à rien, sauf à regretter ses propos. tu te concentres, serrant le poing, avant de poser ton dos contre le mur. "je reste là encore un peu, au cas où." tu restes, mais tu ne l'obliges à rien. ça te mènerait nulle part de la forcer elle, ou de forcer le destin. tu croises tes bras contre ton torse, les yeux grands ouverts, les sens en éveil, prêt à réagir au moindre signe de sa part ou à abandonner la bataille ici.  

et, promesse scellée avec toi-même, tu attendais.

dos au mur, et bras toujours croisés, tu attendais. un signe de kawther, qui te dirait d'entrer, ou une absence de signe, qui te dirait de t'en aller. dans l'attente de l'un ou de l'autre, il n'y avait rein d'autre à faire que ressasser encore et encore votre conversation. kawther t'avait touché, comme tu ne l'avais plus été depuis longtemps. tu avais vu en elle des réactions, des gestes, des regards, que tu avais déjà vu en toi. mais ils étaient plus nets, comme si elle, n'avait pas eu le temps de refermer les plaies. les tiennes étaient cicatrisées. t'avais vu, vécu, et fait des choses pas belles, qui traumatiseraient n'importe quelle personne saine d'esprit. mais ta vie avait été ainsi, et la survie importait plus que la morale, plus que ton bien-être. il s'agissait de se baisser un instant, poitrine au sol et piétinée, avant de pouvoir prendre ta revanche sur la vie et enfin s'élever.

tu avais attendu longtemps, des années et des années, avant de t'élever. comme quoi, l'attente était une habitude bien ancrée en toi. la patience est une vertu qu'on apprend à avoir, quand on n'a qu'elle pour nous faire rêver. tu le serais aussi avec ton employée -et presque amie ?-, maintenant que tu comprenais d'où elle venait. pas par pitié, mais parce que toi plus que quiconque sais que la prostitution n'est pas ce qui nous définit. jamais tu n'as laissé cet emploi, aussi chaotique et pourri jusqu'à l'os soit-il, te définir en tant qu'humain. t'avais assez d'espoir pour elle aussi. on t'avait tendu la main pour en finir, et c'était ta chance de le faire à ton tour. cercle vertueux.

bien décidé à être moins abrupte que lors de votre dernière conversation, tu perdais le fil du temps écoulé. plusieurs minutes. assez pour comprendre que ce n'était pas le moment, qu'elle n'était pas prête à te voir et à te parler. tu n'avais pas pour habitude d'insister et de forcer le destin. si kawther voulait une seconde chance, un présent et un avenir nouveau et à tes côtés au kraken, c'était à elle de le décider. décollant ton dos du mur, quelques fourmis dans les bras, tu partais enfin. mais une voix te retint. c'était elle. elle avait pris sa décision, et te laissait cette possibilité d'arranger les choses. c'est ainsi que tu le voyais, tu espérais qu'elle aussi. attentif à sa réponse, tu pris directement les escaliers, montant les marches en sautant. ton regard s'arrêter sur toutes les portes que tu croisais, avant de trouver enfin son nom à elle. tu toquais. à peine essoufflé par la montée, tu passais ta main dans tes cheveux pour te recoiffer. que tu sois parfait, que tout soit parfait. la seule chose à faire maintenant était de tout arranger. comment ? tu ne savais pas encore. ton instinct parlera de lui-même quand tu verras enfin son visage.