Un mal pour un bien. En réalité, je pensais m'en sortir avec pas mal de chance. Un boulot qui était loin de me plaire, loin de correspondre aux standards que je souhaitais instaurer pour ma nouvelle vie à Lewisburg, mais j'étais saine et sauve. Intègre et pour l'heure, rares étaient ceux qui en savaient trop sur moi. Ce passé à travailler de sexe et de violence. Je voulais tirer un trait là-dessus mais c'était ancré en moi comme une cicatrice sur l'âme...
Lui était au courant. L'un des rares face auxquels je n'avais pas à me cacher. À craindre qu'il sente l'odeur du stupre rien qu'à scruter le blanc de mes yeux. Il n'y avait pas de mensonge par omission à commettre. Hormis s'il venait à ne pas y avoir le compte dans cette enveloppe dissimulée dans mon sac à main.
Des courses comme celle-ci, j'en avais fait plusieurs. Des bijoux, des babioles de valeur. Trouver des acheteurs n'était pas bien difficile au Kraken... J'essayais simplement de rester très discrète pour ne pas éveiller les soupçons de mon employeur et de l'équipe. Ma tendance à jouer de sympathie avec la clientèle m'aidait beaucoup sur ce point.
Au lieu de rendez-vous, impossible de voir la silhouette d'Ace se dessiner. Légèrement stressée devant ce bar paumé, mon regard se faisait vagabond. Devais-je l'attendre ou bien convenir d'une autre rencontre ? Ce trottoir était bien trop vide pour que ma présence soit innocente... Quelques cents pas et voilà qu'une voiture ralenti au loin pour se garer. Les phares s'éteignirent et un homme grand, élancé, en descendit. J'ignorais pourquoi, mais sa stature et sa démarche m'étaient familières. Comme si son attitude s'était tatouée dans ma mémoire.
D'un côté, Ace m'intimidait. Ce n'était pas le genre d'hommes que l'on se jouait à contrarier. Il n'avait pas besoin de montrer les crocs pour avoir cet ascendant sur moi. Un charisme silencieux, discret et réservé. Quelque chose qui forçait mon respect. Je mentirai si je venais à dire que ses charmes ne me faisaient aucun effet. Mais dans cette ville, il portait le visage de celui qui avait brisé mes chaînes. Celui de qui j'étais redevable. On ne construisait rien de durable avec une base de ce genre... Des relations à deux vitesses : très peu pour moi.
Focus et concentrée, je l'attendais de pied ferme. Un peu trop sérieuse peut-être. De quoi attiser son appréhension. Cela ne serait pas idiot... J'avais quelque chose à lui demander. Ça ne lui plairait peut-être pas, peut-être m'enverrait-il valser sur les roses. Mais je devais essayer. Pour Jules. Pour moi.
Une fois qu'il arriva à ma hauteur, je m'approchai avec un sourire timide, hésitant. Sans m'écraser, je ne jouer pas aux plus malignes avec lui. « Bonsoir, Ace. J'ai ton enveloppe », vins-je le rassurer avant qu'il n'ait le temps de me poser la question. La dernière vente avait pris plus de jours que prévu et j'avais senti naître une certaine tension. Je voulais à tout prix éviter ça. Les bons comptes font les bons amis, surtout dans notre domaine... « On peut entrer prendre un verre avant, s'il te plaît ? » Une formule de politesse qui voulait tout dire. Ce soir je ne voulait pas qu'il apparaisse et disparaisse comme les autres fois. Cela pouvait passer pour un manque de compagnie, mais Ace était plus perspicace que ça : j'avais quelque chose à lui demander en échange...
Dernière édition par Kawther Dascomb le Sam 30 Mai - 12:39, édité 1 fois
Il serrait le vieux manche patiné et frappait comme un damné. Il s’appliquait Ace, en réparant la bicoque qu’il venait d’acheter et souriait en pensant que le commun des mortels qualifierait l’objet qu’il tenait d’outil. C’était une arme pour lui. Tout ce qui passait entre ses mains avant servait à se défendre. Plus maintenant...
Pour la première fois Ace se construisait un semblant de foyer. Il avait eu un réel coup de cœur en découvrant cette ruine qui selon lui, lui ressemblait. Un endroit à retaper, un endroit à requinquer, un endroit où il pourrait déposer les armes avant de se reposer.
C’est Aodh qui l’avait convaincu. C’est toujours Aodh qui le convainc. Ils avaient arpenté les rues de Mariners blvd pour trouver la perle rare. Nichée dans des futaies l’épave dévastée l’attendait, comme un radeau échoué. Elle était tout comme lui abandonnée, au milieu des murs délabrés Ace s’était étrangement senti instinctivement chez lui. C’est pour ça qu’aujourd’hui il tenait dans ses mains un marteau qu’il allait devoir délaisser... quelqu’un l’attendait !
Il avait rendez-vous Ace, un rendez-vous où Aodh ne pouvait l’accompagner. Dans les rues sombres d’un centre-ville déserté une jeune femme patientait. Ce n’était ni un rendez-vous galant, ni un amusement, Ace n’avait jamais projeté de s’envoyer la demoiselle ou de la baisser. Elle était séduisante au demeurant mais le prince avait des principes dont il n’arrivait pas à se libérer. C’est d’ailleurs au nom d’un de ses principes qu’il la connaissait.
Kawther était comme la maison qu’il laissait derrière lui en grimpant dans sa voiture dernier cri. Une sportive racée qui tranchait radicalement avec l’allée où elle était garée, qu’Ace ne conduisait que pied au plancher. Il allait rejoindre celle qu’il avait libéré d’un lourd passé... comme la cahute qui rapetissait dans le rétroviseur au fur et à mesure qu’il s’éloignait.
En retard Ace n’avait pas pris le temps de se changer, avait seulement penser à recouvrir son t-shirt sale par sa veste en cuir fétiche. De toute façon il a l’intention de récupérer l’enveloppe qu’elle lui tendrait et s’en aller. S’il s’était plus ou moins associé à Kawther ce n’était que pour s’assurer qu’elle ne passerait pas ses fins de mois à compter.
Il s’avance lentement, à reculons pratiquement. Son visage d’habitude souriant marque un changement. Elle paraît tendue Kawther, angoissée, tourmentée. Ce n’est apparemment pas dû au menu fretin qu’il lui a confié pour se débarrasser puisqu’elle lui parle de ce qu’il est venu chercher. Ace se contente d’un signe de tête en attendant et sent qu’il y aura une suite, sait qu’il y aura une suite. Ace n’a pas envie de l’entendre ni de perdre son temps ! Un verre ? Il n’en avait jamais pris avec elle et ne voulait pas commencer. L’ancien indigent tenait relativement mal l’alcool pour avoir abusé de tord-boyaux qui lui avait perforé le foie à divers endroits. C’est quoi ton plan ?! Sans parler du fait que boire le rend violent...
(c) calaveras.
Dernière édition par Ace Mcgregor le Mar 19 Mai - 13:28, édité 1 fois
Un œil suspicieux. Je n'étais pas du genre à vouloir le piéger, mais il était normal d'envisager cette option pour un homme de son acabit. Les affaires dans lesquelles Ace traînait devaient le forcer à plus de vigilance que quiconque. Je ne voulais pas jouer sur la confiance qu'il m'accordait. Après tout, il devait savoir qui contacter si jamais je venais à être gênante pour ses affaires...
Mais au-delà de cette option, j'espérais qu'Ace ait en tête l'image d'une femme un minimum droite dans ses bottes : il avait payé ma liberté, je comptais bel et bien le rembourser de la manière demandée sans faire la moindre vague. Rares étaient les personnes prêtes à parier sur l'intégrité d'une ex-prostituée, alors j'avais tout intérêt à rester clean. Il méritait bien ça.
Un ton que je jugeai agressif vint me questionner, me reprocher de faire traîner l'échange. Je pinçai mes lèvres, détournai mon regard du sien un instant avant de l'affronter de nouveau et cherchai quelques secondes mes mots. « Rien de foireux, c'est ni un traquenard ni un rencart, je veux juste te parler de quelque chose sur lequel tu pourrais peut-être m'aider. Rien de compromettant, rien d'illégal, rien de violent. On peut rentrer, juste cinq minutes ? » Me fis-je insistante avec un regard doux, presque charmeur sans vraiment m'en rendre compte. Je devais avoir l'air d'un p'tit chaton qui appelait sa mère... pittoresque.
C'était sans doute abuser de sa gentillesse que d'oser lui demander un service supplémentaire. Mais il fallait tenter le coup. Le bar n'était pas particulièrement bondé et il pourrait bien m'envoyer chier sur les roses que je ne lui en voudrais pas réellement... comment le pourrais-je ? Certes, je l'aurais de travers après les risques que j'assumais de prendre pour lui. Mais voilà, ça marchait parce que c'était donnant-donnant. Et quelque part, j'aimais ce genre de relation. Je m'y retrouvais... avec l'avantage que cette fois-ci, ce n'étaient pas mes services sexuels qui étaient donnés en échange. Une forme de prostitution d'un commun accord. Rien de bien propre pour une véritable amitié mais au moins quelque chose de plus sain.
Mine de rien, c'était une grande avancée pour moi. Mon côté naïf me pousserait presque à croire qu'il ne me sauvait pas juste dans l'idée de faire une bonne action pour une personne dans le besoin. Qu'il y avait plus. Mais s'aventurer sur ce terrain là risquait de me causer plus de tort qu'autre chose... Des aspirations que je laissais à des femmes plus méritantes de son regard. Que je laissais de côté pour ne pas me distraire de mon seul but maintenant que mes chaînes étaient brisées : retrouver Jules.
De ses années d’errances, de ses années d’indigences Ace a gardé une bestialité mal dissimulée. Si aujourd’hui il renoue petit à petit avec le monde qui l’a rejeté et oublié sur la grise et crasseuse asphalte, sa première réaction est encore et toujours le soupçon. Il n’a accordé à ce jour sa confiance qu’à une seule et unique personne et même s’il commençait doucement et patiemment à s’ouvrir plus facilement il se cachait volontiers derrière cette épaisse carapace qu’il s’était forgée. Sa garde il ne voulait pas baisser !
Il essayait pourtant Ace de se racheter une conduite auprès de cette société qui l’avait si durement éprouvée. Ce n’était en aucun cas pour payer une quelconque dette qu’il s’y attelait, il se considère comme la victime d’un système obsolète et dépassé. Il aidait simplement ceux qui comme lui sont des rebuts, des détritus de la collectivité.
Ace dévisage durement et silencieusement Kawther dans l’obscurité. Il n’a jamais considéré ni frôler l’idée de se rapprocher de celle qu’il avait acheté. Il lui avait rendu sa liberté, s’était assurée de son indépendance hormis les petits larcins qu’il lui demandait en échange. Arracher une pute des mains d’un proxénète odieux et méprisant était sa seule fierté, sa seule vanité Ace ne demandait aucune forme de récompense. Ni accointance... Devenait il trop vieux ou trop curieux, lui-même ne saurait l’affirmer puisque devant ses yeux implorant il finit par lâcher en ricanant amèrement. T’as intérêt à dire vrai... Je t’donne trois minutes pour tout déballer !
Il soupire en ouvrant la porte du bar malfamé et hoche la tête pour lui indiquer de passer. Il la suit au milieu des cuitards et autres soiffards, dont il a fait partie, lui désigne une table à l’abri des regards indiscrets. Ace n’a pas le temps d’enlever sa veste que déjà une serveuse qui apparemment a vieilli prématurément vient l’accoster sourire édenté, décolleté trop prononcé. Il commande deux bières, affabilité effacée, avant de s’installer. Son regard insistant lui rappelle que Kawther ferait mieux se dépêcher !
(c) calaveras.
Dernière édition par Ace Mcgregor le Lun 25 Mai - 22:27, édité 1 fois
Le pillard bourru et asocial qu'était Ace ne sortait pas des sentiers battus. Je ne pris pas mal son ton acerbe et exaspéré car en fait, je n'avais pas souvenir de l'avoir connu autrement plus agréable... Difficile de savoir s'il était comme ça avec tout le monde ou juste avoir moi, nous n'étions pas du genre collaborateurs amis, au contraire. L'un éloigné de l'autre, par souci de discrétion ou par crainte de s'attacher ? Peu importait.
Ce qu'Ace avait fait pour moi suffisait à avoir ma confiance et me prouver que c'était une personne de valeur. Pour le prix qu'il avait payé, il aurait pu me réclamer. C'était le sort que Jules avait connu pour avoir attiré l'œil de la mauvaise personne au porte-feuille trop rempli pour son propre bien... Ce que j'écopais était bien moins malsain que cette amie dont le sort me préoccupait plus que de raison.
Le silence de nos échanges ne me précisait rien de ses motivations, de pourquoi cette aide et ce partenariat maintenu. Hormis l'envie de rembourser ma dette, rien ne nous enchaînait.
Trois minutes. Un décompte bref qui me forcerait à être on ne peut plus concise. Bien que ce soit d'une mauvaise tête, il avait accepté mon invitation et c'est tout ce qui comptait. Nous entrâmes, installés à une table sans avoir le temps de souffler qu'il fallait commander. Ace le fit pour nous deux.
J'esquissai un sourire embarrassé, affrontant difficilement son regard sévère. « Je n'ai pas fui Vegas jusqu'à ce trou perdu pour rien. Si je m'y suis installée au risque de me faire prendre, c'est parce qu'une amie est ici, vins-je résumer sans oser le regarder dans les yeux. Elle a été achetée, appuyai-je silencieusement le mot pour lui faire comprendre que ça n'avait rien à avoir avec un bêtement remboursement de dette. J'ignore le nom du type qui a fait ça, mais je sais qu'il ne l'a pas fait pour le simple divertissement de jeter de l'argent par la fenêtre, ni pour la libérer. Et... je n'arrive pas à la retrouver. J'aimerais savoir si elle va bien, si elle a besoin de moi pour s'en sortir, d'une main qui la sorte de cette situation. » Une pause et mon soupir. Délicate manœuvre pour laquelle je n'avais rien à vraiment proposer en échange... « Elle s'appelle Jules Clark, une femme élancée, typée russe avec de long cheveux bruns. Elle doit être chez quelqu'un d'influent ou au moins avec suffisamment d'argent et peu de scrupules pour acheter ses femmes », terminai-je de décrire ce que je savais.
La serveuse se rapprocha. Mon visage enfoncé un peu plus vers la table, quelque peu mal à l'aise d'évoquer ces choses de mon ancienne vie. Je glissai quelques dollars pour payer nos consommations en laissant la monnaie pour qu'elle disparaisse le plus vite possible. Je pris une grande inspiration, me redressant sur ma chaise. Ce n'était pas un service évident à demander et encore moins face à un mur... « Il n'y a que toi qui me connaît vraiment ici et avec qui je peux parler de ça. Vu que tu connais la ville, je me demandais si t'accepterais de m'aider à la retrouver ? Je pourrais te payer, ou te filer un coup de main en prenant pus de risques pour tes affaires », demandai-je avec plus d'aplomb. Je tenais à Jules, à sa sécurité, à sa santé. Si pour cela il fallait que je me salisse les mains plus qu'aujourd'hui, alors je signerai sans ciller. Au moins, pour être déballé, c'était déballé. Après cela, je bus plusieurs longues gorgées de ma bière.
Ace n’aimait pas les conventions. Difficile d’être aimable avec son prochain quand on a eu à faire à la déchéance humaine et il l’avait été Ace, bien plus que n’importe quel homme ne pouvait le supporter. Si aujourd’hui il n’a pas complètement perdu la tête Ace, si aujourd’hui il croit encore en l’humanité de chacun il n’en reste pas moins un animal parmi les humains, une bête sauvage que personne n’apprivoise. Personne ou presque... S’il n’est pas un chien en laisse, Ace était tout de même le fidèle serviteur, l’immuable constant, le scrupuleux partisan. À lui et à lui seul, il avait offert son cœur. Il n’y avait rien d’ambigu là-dedans, juste une sincère amitié pour laquelle il pourrait mourir la gueule grande ouverte, le sourire aux lèvres. Le reste il s’en accommodait comme il pouvait.
Il était justement devant lui le reste, cette donzelle qu’il avait achetée. Ace n’aimait pas non plus ce terme galvaudé. Il lui avait simplement donné l’opportunité de s’affranchir, de conquérir sa liberté. Il lui faisait volontiers croire qu’elle avait une dette à rembourser. En réalité si elle partait du jour au lendemain sans laisser la moindre trace il ne prendrait même pas la peine de la chercher ni de la retrouver. Il n’était pas son proxénète encore moins son usurier.
Ace n’aimait donc pas les conventions... Ni les réunions. En posant son cul sur la chaise tachée du bar malfamé il sait qu’il va le regretter. Il ne veut rien savoir d’elle ni entrer dans son intimité. Toutes familiarités lui sont étrangères, il n’a qu’un ami qui lui suffit. Pourtant il s’assied Ace, en lorgnant sur sa trotteuse. Quand elle aura fait trois tours complets il pourra s’en aller, déguerpir au plus vite, se tirer.
N’ayant en tête que cette idée Ace fait preuve de la même civilité avec la serveuse qui ne fait pourtant que son métier. Il ne laisse aucune chance à la probabilité de pouvoir s’installer, de tailler une bavette comme si de rien n’était. Les bières sont commandées, d’un regard acier il lui impose de ne pas s’éterniser. La voilà lancée...
Ace écoute nonchalamment le regard rivé sur sa montre. Une première rotation avant qu’ils ne soient encore interrompu par l’assiduité du larbin zélé. Il sourit brièvement quand Kawther lui tend un billet. Décidément l’argent peut tout acheter, tout sauf son attention ou sa concentration, il ne comprend rien à son histoire alambiquée. Et ?!
Sans se démonter l’ancienne prostitué continue à débiter. Elle ne s’interrompt qu’une fois terminé comme si sa vie en dépendait. En ça Ace doit bien se l’avouer... il se reconnaît ! Le détrousseur s’enfonce un peu plus sur sa chaise avant de la toiser. Apparemment ça ne t’a pas réellement effleuré que je n’avais pas besoin de t’associer à mes affaires plus que je ne le fais ! Dis-moi quelles sont tes réelles motivations et peut être que j’aviserai...
Air hébété, soupir désabusé. En même temps, qu'en attendais-je ? Je me laissai tomber sur le dossier, le regard vague et les lèvres serrées. Il ne comprenait pas et ce n'était pas son affaire. « Qu'est-ce qu'il te faut pour que ce soit plus réel, Ace ? » L'interrogeai-je en fronçant les sourcils. Sans doute ne pouvait-il pas comprendre ce qu'il y avait entre Jules et moi. Pourquoi cela comptait à ce point...
Même si à mon sens tenter de lui faire comprendre l'enjeu ne changerait pas sa position, je me mis à parler plus que de raison. L'expression d'une douleur sourde que sa neutralité et son stoïcisme exacerbaient. « J'ai échappé à mon mac tout en sachant qu'il enverrait ses sbires pour me faire taire, tout ça pour traverser le pays et la retrouver elle. C'est la seule personne en 30 ans à m'avoir donné l'envie de croire en quelqu'un, à m'avoir soutenue et élevée là où tous les autres ne faisaient que m'accabler ou me rejeter. Aujourd'hui j'estime lui devoir ma vie bien plus qu'à n'importe qui alors avec ou sans toi, je dois tout tenter pour lui venir en aide. Si tu n'avais pas été là, ce serait pour elle que je serais morte à l'heure qu'il est », confiai-je sans honte sur mon visage. On pourrait croire que mourir pour quelqu'un c'était stupide, insensé, ridicule. Mais ça ne l'était pas pour moi. En tout cas pas s'il s'agissait de Jules. Ce qui nous liait était fort, plus fort qu'un lien de sang, plus fort que les sentiments. Rien qu'Ace ne semblait enclin à comprendre ni même à envisager.
Une lampée de bière et je sortis l'enveloppe que je lui devais. Je l'échappai sur la table d'un élan qui la fit glisser jusqu'à lui. « C'était stupide de te demander ça. T'as rien à y gagner si mes services ne te sont pas plus utiles que ça. Merci pour tes précieuses trois minutes », le gratifiai-je avec sarcasme sans oser lui adresser le moindre regard. Mes yeux se l'étaient jouée sensible à me piquer et dessiner cet éclat humide que j'essayais de contenir. Ce n'était pas tant de la colère qu'un soudain sentiment de me retrouver enchaînée à la case départ. Vouloir compter sur Ace était stupide. Trop d'audace tuait l'audace. Mais au moins je savais à quoi m'en tenir. J'aurais sans doute regretté de ne pas avoir essayé.
Je restai assise, sans broncher, vidant ma bière et attendant qu'il s'en aille avant d'en commander une nouvelle. Retourner dans mon appart miteux n'était pas une bonne idée pour le moment.
Les interactions d’Ace étaient limitées au strict minimum, si tant est que l’on puisse réellement prétendre que l’escroc se mélangeait. Il n’y avait guère que ses yeux qui traduisaient le fond de sa pensée, un rictus tout au plus pour dévoiler ses idées. Que reflétait son regard pâle maintenant qu’il observait son teint tout aussi blafard après la confession qui avait dû lui coûter ? La même incrédulité se lisait de chaque côté.
À moi... Rien ! Dit-il avant de la lâcher et de mettre son nez dans la mousse qui débordait. Ace ne pouvait pas réellement affirmer qu’il était affligé par ses sourcils froncés. On l’avait tellement malmené depuis le jour où il était né qu’au fond de lui son palpitant brisé ne battait que devant un réel danger. L’adrénaline c’est tout ce qui le faisait avancer et c’est sans doute pour cette raison qu’il s’était interposé entre elle et les chiens du mac enragés. À cet instant il en est pratiquement à le regretter...
Ace enfile sa bière d’un trait, il n’attend plus que l’enveloppe sacrée, encore cachée, pour pouvoir détaler. C’était sans compter sur le peu de mots qu’il avait jusqu’alors prononcé. Apparemment ils avaient dû l’atteindre plus qu’il ne le croyait, à moins que le sujet, Jules, soit vraiment particulier. Devant un Ace pratiquement stupéfait, Kawther débite à une allure qui lui est complètement inconnu. Incongru.
Ce n’est ni le bon endroit, ni le bon moment mais aussi soudainement que furtivement Ace songe à la destinée. À la fatalité. À celui qui s’amuse à placer sur votre chemin escarpé les personnes qui vont tout changer. Le malfaiteur en a très peu rencontré. Un seul a réellement compté. Pour lui aussi il crèverait volontiers ! Foudroyé, Ace entrevoit également une certaine similarité entre lui et sa protégée. Était-ce possible que ce soit leurs ressemblances qui les aient finalement rapprochées ? Comme à l’accoutumée il ne réussit cependant qu’à marmonner un Ok !
Soudain arrêt. Fin d’une demande inconsidérée. L’ours mal léché l’avait blessé. Ce n’était pourtant pas un fait exprès... En réalité si Ace ne s’attachait pratiquement jamais ce n’était que par crainte d’aller de déceptions en désillusions. Ace est un désabusé qui n’essaye même pas de se réformer. Elle l’a néanmoins touché. Mais ça il ne l’avouera jamais !
En se levant il attrape sa veste posée, fourre dans sa poche le sésame libéré. Il ne lui montre pas son visage fermé, se répète les mots-clés qu’il a enregistrés. Jules Clark. Achetée. Amitié... Il part sans se retourner après avoir ajouté un énigmatique; Je verrai...
(c) calaveras.
Dernière édition par Ace Mcgregor le Sam 30 Mai - 7:45, édité 1 fois
L'impassibilité d'Ace avait quelque chose d'effrayant et même temps de rassurant. Un paradoxe qui s'ajoutait à la pelle que je traînais. Mais il s'avérait bien moins dangereux d'accorder sa confiance à un homme tel que lui qu'à un sanguin. L'impulsivité n'amenait pas grand chose de bon. Les preuves ne manquaient pas pour corroborer cette affirmation. Un homme qui déraille, on ne sait jamais quand ça va mal finir, là où quelqu'un de posé se fait plus constant, plus fiable. On sait d'entrée de jeu à quoi s'en tenir. Loin des fréquentations que j'avais dû avoir par le passé...
Était-ce si tragique que ça ? De ceux qui se persuadaient qu'à ne plus rechercher de réelles relations ils s'évitaient d'autant plus de déceptions et d'emmerdes que de petites joies ? La seule personne à avoir glissé des étincelles dans mes yeux c'était cette femme pour qui je voulais me démener. Me battre. Je ne lui aurais pas été d'une grande utilité si les hommes de Francisco m'avaient chopé cette nuit-là où Ace était intervenue, mais au moins j'aurais été morte en essayant. Bien moins lâche que de rester planquée à Vegas à devoir courber l'échine.
S'il y avait bien une chose que je ne voulais plus dans ma vie c'était bien ça : la servitude. Devoir, sans raison, assouvir les désirs d'autrui. Je ne voulais plus avoir à me relever pour recevoir un deuxième coup jusqu'à épuisement. Héritage d'un père trop violent, d'une vie trop violente... Je n'étais pas taillée pour ça et j'en étais épuisée, vidée de toute force. Ma seule essence consistait en ces yeux sombres et ces longues mèches brunes. Est-ce qu'il s'agissait d'amour ? Je n'en suis plus très sûre. Mais comment une femme comme moi pouvait y connaître quoi que ce soit aux sentiments ?
Visage fermé, trait tiré sur l'aide d'Ace, mes yeux restaient rivés sur le verre vide. Temps écoulé qui poussa l'invité vers la sortie. Ses quelques mots me firent ciller : je verrai. Je lui lançai un dernier regard sans qu'il ne se retourne, ne comprenant pas pourquoi il laissait cette possibilité dans un coin de sa tête. Qu'est-ce qui lui avait fait changer d'avis ? Difficile de savoir ce qu'il avait en tête mais une part de moi semblait se réjouir de cette fenêtre entrouverte. Impossible de voir mon cœur s'emballer au vu de l'incertitude avec laquelle Ace me laissait. Mais l'éventualité que mon audace ait porté ses fruits m'enleva une part du poids qui pesait sur mes frêles épaules...
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