{ rain on me }

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le ciel est bleu nuit, pourpre, et lila. d'un mélange unique, comme un tableau, comme un miracle à admirer, encore et encore. tes yeux l'admirent, et tu arrives à te demander, si une part de nous-mêmes appartient bien au ciel, comme on veut nous le faire croire ? ça te parait trop beau, trop unique, trop magique, pour la bassesse des hommes. tu ne crois ni à ça, ni en un quelconque dieu. t'as roulé ta bosse, de jour en jour, d'année en année, sans aucune intervention divine. des interventions démoniaque, ça il y en a eu. les premières se sont manifestées par le biais de tes parents. immigrés asiatiques aux traits qui ne plaisaient pas aux habitants de la ville, ni d'aucune ville, à ce qu'on t'a dit. aujourd'hui encore, c'était les êtres les plus malheureux que tu n'as jamais connu. des années à travailler durement, plus que n'importe quel américain, sans récompense, sans un geste de bonté et de bienveillance en retour. ils sont morts jeunes, trop jeunes. t'étais pas encore majeur. t'as jamais bien compris comment ils avaient quitté cette terre. la faute à un malheur déchirant les entrailles, ils ont dit au revoir à une terre qui ne les avait jamais acceptés, dans laquelle ils n'avaient jamais trouvé confort et plaisir. on a prononcé les mots de suicide et de dépression nerveuse. à dix-huit ans seulement, tu n'as pas compris leur sens.

c'était donc lâché dans la fausse humaine, la pire de toutes, que tu continuais ta vie. pas encore majeur, on a voulu te placer. le visage inexpressif, t'as hoché la tête, dit merci à chaque repas qu'on t'offrait. adolescent gentil, aimable, à deux doigts de pouvoir être aimé. mais ce n'était pas dans tes projets. tu savais qu'une vie comme la tienne, elle devait se construire dans la peine. une belle gueule, une serviabilité certaine, et surtout, une ambition pour laquelle tu étais prêt à sacrifier quelques années, quelques parts de toi-même. c'est ainsi que sous couvert d'un adolescent normal, tu es passé dans l'ombre tragique de lewisburg et des alentours. comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, t'as vendu ton corps. prostitué de bas-étage, aux services de femmes plus âgées, de jeunes garçons perdus, et de fétichistes égocentriques. t'as entassé l'argent, quitter la famille d'accueil à la majorité, et tu t'es renfermé sur toi-même. mais t'as toujours su que ce n'était qu'un mauvais moment à passer, pour une gloire future.


il se faisait appeler vince. le visage usé, la barbe virant au gris, les traits tirés. propriétaire du kraken, un bar-nightclub avec peu de succès. autrefois, il accueillait les bas-fonds de lewisburg. les chuchotements, dans l'ombre, sous de la musique forte, se transformait en cris de guerre. bagarre sur bagarre, les différentes organisations illégales décidèrent ne plus s'y rendre. trop de mélodrames pour rien. trop de verres cassés et de parquet souillé au sang. vince n'était pas si vieux, mais on avait l'impression qu'il soulevait le poids du monde sur ses épaules. vince c'était un client. esseulé, n'attendant plus rien de personne, il n'avait plus le temps et l'envie d'une relation vraie, alors il est allé te trouver, au détour d'une rue. il a vu en toi la galère et la misère. un mélange de crasse qui ne s'en ira jamais. il a vu en toi ce qu'il voyait en lui, mais une version plus jeune, plus belle, plus mystérieuse. des fois, tu crois qu'il t'a sincèrement aimé, ou du moins, qu'il le croyait.

vince s'en est allé.
il n'est pas mort, il a juste quitté la ville. trop souillé des atrocités qu'il a pu voir et entendre, il en a eu marre de jouer les complices. un jour il t'a chuchoté au creux de l'oreille ces mots désespérés et désespérants. "neo, je m'en vais. j'ai trop vu, trop vécu ici. ça t'arrivera aussi. ne les laisse pas gagner comme ils l'ont fait avec moi." t'as pas compris. t'es resté muet, sachant qu'il n'avait pas fini. assis sur une vieille chaise en bois, il n'y avait que vous dans le nightclub. ses yeux gris s'enfonçaient en toi. "l'argent, c'pas bon neo. trop de dommages, d'erreurs et de regrets. mais toi, t'es pas comme moi, hein. je l'ai toujours senti, que t'attendais l'occasion, le miracle. tu savais qu'il allait venir. c'drôle, pour quelqu'un qui a pas la foi." il a ri, avant de poser un contrat devant tes yeux. t'as dû relire dix fois pour y croire. vince, il te donnait le kraken. échange de bons procédés, comme il le disait. il allait partir, au sud, au nord, ou en europe. il savait pas encore mais il s'en fichait, il avait la liberté pour lui maintenant.

c'est ainsi que t'as hérité du kraken, et d'une grosse somme d'argent. toi, la putain des autres, tu pouvais enfin renaître. t'as fait de neo, ton surnom pour ces inconnus qui ne voulaient pas en savoir plus sur toi, un vrai blase. enfant ressuscité, t'allais avoir ta revanche, enfin, à vingt-sept ans, après des années d'errance, à aller et venir de villes en villes pour toujours retourner ici. c'était il y a presque dix ans. t'as fait des travaux au kraken, poussé tes connaissances à le fréquenter, pour qu'il redevienne enfin un endroit aux habitués. le kraken c'est le lieu neutre, c'est la bouffée d'air frais, et la liberté, que beaucoup recherche. c'est ta plus belle réussite. t'as vaincu et dompté un passé malheureux. avec le temps, on a même oublié qui tu étais avant. respecté, apprécié, t'as tiré ton épingle du jeu, et tu sais comment ne pas t'y piquer.

alors pourquoi ce sentiment de manque, encore, qui règne en toi ? t'as l'argent, t'as la fierté d'un travail honorable et t'as le respect des autres. qu'est-ce qu'il te manque alors, dans une vie désabusée qui ressemble enfin à quelque chose ? tu ne sais pas, ou alors, tu fais semblant de ne pas savoir. mais au moment venu, tu trouveras.

tu trouves toujours.