caught red-handed showing feelings (sin)

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Candeur des jours innocents. Sur la robe, la dentelle écrue, la pureté d’une môme. Appliquée, droite dans l’effort, le prodige dont les empreintes martèlent le piano d’une partition délicate. Déjà, et pour toujours, Sinai est la première. Début d’un triomphe.
A l’étage, Adam mimique, imite. Courbé sur son violon, il fait écho aux notes de sa sœur, le modèle. Frêle sous le volume de l’instrument, la peine fait froncer ses sourcils infantiles. Il entend les gazouillis des petits, Eitan et Ouziel, maîtres de la chanson que font leurs cris.
Au cœur de la maison, pendus à la gorge de la mère - cette sainte patronne -, les jumeaux, Yona et Shay.
1991, et déjà six enfants.

Première allumette craquée à treize ans. Le palpitant pourtant si froid, s’embrase dans sa sobriété. Curieux combustible que cette cinglante injustice, et ces souffles de rage laissent des trainées brûlantes dans l’air bleu de janvier. Odieuses années, fourbe adolescence, l’abus que font les malhonnêtes d’une liberté qu’ils gagnent sur les autres. Dans la gratuité de l’enseignement public, les héritages se mélangent. Rares sont les mioches dociles, nombreux sont ceux qui crucifient les intellects. La perfection de Sinai est une cible facile, une proie de choix. On aime railler la poupée de porcelaine lorsque, de son visage encadré de tresses sages, elle récite les poésies et devoirs. C’est pourtant décevant, qu’elle n’offre à ses bourreaux aucune réaction. Jamais on ne colore sa pâleur du rouge de la honte. Jamais on n’arrache à ses yeux des chagrins liquides. De glace, de marbre, indifférente, si tôt.
Jusqu’au jour où, par terre, on salit le visage d’un ami de mandales ensanglantées. On brise l’arcade, on brise l’enfant. Arthur ne reviendra plus à l’école. Voilà Sin orpheline, spectrale dans la blancheur de son indolence. Il y a pourtant, dans le creux de son sternum, ce brasier naissant : flambeau des premières convictions, haine de l’injustice. Il y a aussi cette promesse. Jamais on ne mettra son âme au sol, jamais on ne la teintera de sang.

Foi égarée, rejetée. Sinai se fait Sin. On ne veut plus la moquer. On la veut.
Guerrière, érudite, ses batailles se multiplient, se diversifient. Vêtue de blanc, toujours, la lame à la main, elle déverse des cascades écarlates imaginaires en affrontant ses ennemis masqués au fleuret. Joutes physiques et verbales érigent son quotidien draconien : en grandissant, la vipère se nourrit des flammes du conflit.
Elève accomplie, femme triomphante, allant même jusqu’à faire des quarterbacks les plus populaires ses amants, Sin s’envole. Lorsqu’elle décroche une bourse pour le huitième meilleur programme de droit des Etats Unis, à l’Université de Virginie, elle croit déceler dans les yeux de ses parents quelque chose d’inédit. Une timide fierté.

Il attise l’incendie. Autour d’eux, des anonymes. Le fracas des jeunesses ivres. Des discussions sans visage, des alcools sans saveur, des airs muets. Seulement l’accrochage de leurs yeux, comme un accident de bagnole, soudaine commotion. Humides d’essence, ils se risquent sur le macadam pour s’accorder une rencontre. S’embrasent.
Hasard des invitations lancées, entrevue sur canapé. Le poison à la main ils se découvrent, s’apprivoisent. Sombre dans son arrogance, il est plus vieux, le fait savoir. Le somptueux opposant a la prétention de s’élever au-dessus des autres et, dans son sillage de plumes ébènes, il entraîne Sin, la dérobe à la tranquillité de sa réalité.
Ils parlent.
S’opposent.
S’engueulent.
Au cœur de la nuit, il se débarrasse de son habit noir et l’arrache à sa robe blanche. Dans l’intimité de leur nuit de noces chimérique, nus de leurs idéaux et préjugés, Cahal et Sin s’accordent enfin pour danser.
Guerre de trois ans, conflit primitif. De leurs hostilités, ils font vivre le brasier, et les cendres qui s’étirent vers le ciel les portent avec elles. Il est mentor mais également défié, l’aspirante fait sensation au bal des débutantes. Piquante, peu farouche, Sin s’applique à suivre les foulées du major, faisant parfois de lui son ombre, lorsque, d’un croche-pied, elle balaie son apothéose et le double. C’est déjà dans le sinistre silence des bibliothèques qu’ils amorcent leur arsenal, féroces dictateurs des lois à la langue fourchue.
Malgré la virulence de leurs guérillas, cette sorte de passive boucherie, monarques noir et blanc développent un attrait certain pour leur propre antagoniste, complice de leur réussite. Inépuisables tortionnaires, pourtant si assurés dans leur pratique des textes, se montrent si déroutés lorsqu’il faut s’adonner à l’examen de leurs sentiments. Il est des mélanges de couleurs auxquels ils ne croient pas. Un univers polychromatique et utopique fait de nuances redoutables et de périlleux chemins sinueux.
Pourquoi la douleur de leurs combats est-elle si délicieuse ?

Trois ans après lui, elle porte le chapeau noir et entame sa deuxième vie. Chez Boyer & Lynd, les notes du prélude de sa diligente ascension. Réputée requin, renommée parmi les fauves, de ses sourires elle montre les dents. L’ébène des robes qu’elle adopte, la rougeur des lippes, comme si on y avait laissé du sang.
Aux yeux du monde, Sin est sainte. Régulièrement, ses plaidoiries guérissent les âmes estropiées. Veuves et orphelins, corps brisés, esprits souillés, innocences bafouées, elle offre leur vengeance aux misérables et leur pompe le sang. Lève-toi et marche, elle murmure, et dans la blondeur de sa crinière vibre la clarté d’une couronne dérobée par l’orgueil. Les triomphes se font nombreux. Les phalanges délicates se salissent.
Et puis l’ombre du corbeau dans le ventre des tribunaux. A nouveau, la machine se remet en marche, on poursuit le plus exaltant des jeux dans la réalité de leurs affaires.
Quelques face à face au barreau. Altruistes involontaires, ils se partagent les victoires.
Hier, elle échoue, tempête. De son trône sombre, il la toise lorsqu’elle plante ses ongles dans sa chair. Avide de soulagement, la femme serpent dissèque. En vain.
Ailleurs, plus tard, après une défaite, la serre de l’oiseau furieux vient s’écraser sur sa gorge blanche. Si proches. De sa rancœur, elle jubile. “You already got fucked in court, and you want more tonight? McGrath, you little whore.”

Retrouvailles. L’affaire dure, leurs combats redeviennent ébats. Ils se font aveugles à l’outrage qu’ils commettent : un appartement pour deux, ménage. Doucement, ils s’adonnent à la construction de leur propre royaume de glace sous les lames de leur passion, encadrés du tabou des mots interdits. Aussi, prononcer un prénom serait s’adonner à un excès d’intimité. D’ailleurs, de peur d’exposer à l’autre une jugulaire tendue, une faiblesse trahie, souvent, ils ne dorment pas.
Vampires assoiffés au milieu des objets qu’ils brisent, ils se meurtrissent et se mutilent. Bientôt, très vite, c’est l’agonie de cette lente combustion qu’ils ont initiée, celle de leur intégrité. Le sang violacé sous leurs yeux froids, les éraflures, partout, sur l’épiderme et sur le cœur. Omniprésence du malheur. Chaotiques jubilations.
Jusqu’au matin, ce matin, où il lui fait l’annonce de sa lâcheté. Et alors qu’il gerbe ses mots irrationnels, silhouette sur la timidité d’un soleil, elle comprend qu’il prépare son évasion. Ses fiançailles.
C’est la destruction de son être entier, un tourbillon noir de douleur et d’épines, la lacération totale de ses tripes. Premier ouragan, séisme inconnu, déchirement monstrueux, éblouissant. De quelques syllabes, il dépeuple l’univers. Et c’est impensable, que cet arrachement soit douloureux. C’est inimaginable, que tout ce temps il ait été aussi sangsue qu’elle avait pensé l’être. Somptueux désespoir. Qui la laisse là, nue, brisée, dépouillée. Carcasse vide et sèche, feuille morte d’un été oublié. Un misérable souffle s’échappe sur ses lèvres gercées, de rage on dirait presque qu’elle a chialé. “Congratulations.”
Assommée par l’absurdité de la situation, sa surprise est son anesthésie pour l’amputation. Quand le membre putride disparaît, l’opération laisse une plaie béante en son sein.
Un canif qui égorge les pneus de la bagnole, pour imiter les entailles dans ses entrailles.
Puis elle craque sa dernière allumette.
Les dossiers du traître partent en fumée.
A leur dernier procès, leur épilogue, la victoire blanche est écœurante.

Mue par la contrariété que seule la douleur peut apporter, l’ère Kayzer continue. L’égo brûle lorsqu’elle décide de fuir, d’abandonner la première, mais l’ancien monde est celui des ombres lucifériennes de Cahal. Nouveau cosmos, apaisement factice des plaies écarlates, c’est dans une société toute aussi immorale que Sin fait la rencontre de l’homme pansement.
Ambitieux sénateur républicain, il a besoin d’elle et l’idolâtre. Affreuse guérison dans l’ultime robe blanche, il lui fait un bandage de dentelle et d’or.
Dans l’ombre de sa carrière politique, elle est l’infirmière de ses écarts, évitant chaque hémorragie qu’il prépare. Redoutables manigances qu’il exécute pour s’élever sur des trônes plus estimables, honneur sali mais convoitise attisée. C’est alors qu’enfin, finalement, après tout, Sin se fait l’avocate du diable.
Et lorsqu’il commet l’erreur de trop et qu’il se crame les ailes, bien sûr, elle le sauvegarde, le protège, l’achète. D’époux il devient rétributeur, échangeant âme contre immunité, la regardant se régaler de la souveraineté qu’elle lui a volée. Dans les secrets de ses penderies, il sait les preuves qu’elle garde, menaces manuscrites, pression calligraphiée. Soumis, il écarte les bras et se laisse enchaîner.
Stratège à la vanité restaurée, elle vient apposer sa présomption sur Lewisburg, royaume de l’infâme corbeau et de ses exécrables parjures. Elle fait de son mari le maire, et dans son oreille elle susurre des syllabes qui ne sont plus depuis longtemps libertines.
Reine de Lewisburg, pour écraser le pion Cahal.
Resplendissante, elle se croit guérie.