he shot me down ; cahal.

La douleur est toujours là. Elle en est presque déçue. Elle pourrait recommencer, l'enlever une nouvelle fois juste pour être certaine d'avoir bien fait les choses mais cela demande un travail terrible, une organisation à laquelle Hera n'a pas la tête. Puis les grands yeux de Nina, aussi vides que son ventre la hantent parfois, lui rappellent combien elle sonne creux, elle aussi. L'absence d'une ne comblera pas celle qui lui bouffe le cœur. Dione ne renaîtra pas des yeux tristes d'un corbeau perdu sans l'être aimé. Si les choses marchaient si facilement, la mort d'Adon lui aurait rendu sans sourciller tout ce que la vie lui avait enlevé et personne n'en serait là aujourd'hui, dans un salon de thé si calme qu'il pourrait ressembler à une maison de retraite. L'air est délicat, bordé par le parfum amer du café et celui plus doux du thé.

Les serveuses sont nerveuses, n'importe qui le serait de savoir qu'une Moran s'est offert le droit de privatiser les lieux et que celui en approche n'a rien de plus loquace. Hera se tient droite à sa table, arrivée en avance par habitude.
La petite cloche de l'entrée résonne dans la pièce lorsque la porte s'ouvre. Cahal, dont elle tourne le dos mais à qui la simple présence lui rappelle cette entité à part entière qui les relie. Un visage froid, masqué par l'odeur calme de leurs mensonges et leurs manipulations. On ne ressent pas la colère lorsque Hera tourne son regard dans le sien afin d'y dégringoler sans une once de crainte. Depuis cette nuit où elle s'est endormie au creux de ses pupilles, il serait fou de le fuir. Elle ressent encore la rage de ses paroles, la salive corrosive qui avait alors marqué là la promesse de lui dérober son plus beau trésor.
Nina qu'elle ne lui a pas rendu entière. Dont il reste quelques fragments éparpillés dans la grande demeure où elle la cachait jalousement.
Des éclats, qu'Hera garde aussi en elle, dans ses tripes, sa mémoire et son âme.

La lumière tranquille d'une fin d'après-midi caresse les traits de Cahal, les adoucit presque. A moins que ce ne soit la vue des pâtisseries qu'ils ne mangeront probablement pas ou cette chaleur diffuse qu'elle sent dans les tréfonds de ses tripes et s'échoue désespérément dans ses veines afin de maintenir à flot une vie qui ne demande plus qu'à exploser en quelques milliards de morceaux inutiles. Hera porte sur elle l'indécence des créatures amochées mais éternelles dans leur survie. La peau de son cou dissimulée d'une fine couche de maquillage cache elle aussi les traces encore trop fraîches de son frère auprès duquel elle s'offre le loisir de bafouer la haine respective de leurs familles. Impossible pour elle de définir si ce n'est là pour elle qu'une façon de défier les limites, tuer l'ennui ou une plus profonde et inavouable. Cahal. Elle se redresse malgré tout, lui tend la main afin de la lui serrer, professionnelle et aussi glacée que peut l'être une femme dont l'unique force est son pouvoir. Sa poigne est solide malgré l'echo d'un coup de feu qu'il lui donne dans chacun de ses cauchemars. Tu as bien meilleure mine que ce que l'on m'a rapporté. Son joyau retrouvé sain et sauf, McGrath n'a rien d'elle dont l'amour d'une soeur est à présent contenu dans une simple tombe. Les appels de ses frères témoignaient à eux seuls de la détresse de Cahal. Lorsque le pilier de tout s'effondre, c'est aussi le reste du château qui s'écroule. En retrouvant ainsi sa place sur la chaise dans laquelle elle l'attendait, Hera fait preuve d'une grande tranquillité. Le voir en personne reste l'unique solution à tous les maux car aucun de ses frères n'éveillera jamais en elle cette vitalité des jours sombres. Lorsqu'elle le fixe de son autorité latente, les oripeaux de sa fatigue la quittent sans un bruit ni même le moindre embarras.

Comment se porte Nina ? Elle ne peut contenir cette pointe de provocation, étouffe la nature sincère d'une question qui pourrait la toucher plus que de raison. De marbre, Hera attrape sa tasse de thé déjà tiède, en boit une gorgée. Le son des couronnes qui s'entrechoquent est un bruit entêtant et réconfortant dans laquelle la reine plonge à corps perdu.
Lui donner rendez-vous ici, hors des terres qu'ils gouvernent n'est pas une déclaration de paix, ni même de guerre.
Mais il est des règles présentes depuis la nuit des temps autour desquelles les plus grandes têtes se sont toujours réunies : celle du partage. S'il faut avoir le courage d'attaquer ceux qui nous font de l'ombre, il faut aussi avoir les tripes de les affronter dans le calme et les mots.
Cahal et Hera ne s'effraient pas. Ce sont des forces vicieuses qui communient afin de nourrir l'autre et ne jamais tarir la source de leurs conflits.

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