the sound of silence. ; nina.

Cahal ne l'a probablement pas assez prise au sérieux. Son corps toujours douloureux en est la preuve : le corbeau ne s'est pas douté que puisse se trouver derrière le visage d'une femme un démon bien plus puissant que d'autres. Elle ne possédait pourtant pas l'aura de l'ange juste avant qu'il ne lui tire dessus. Ses mots étaient sincères, sa cruauté réelle. S'il ne l'avait pas prise au dépourvu, la reine n'aurait probablement pas attendu avant de pénétrer dans son manoir afin de dérober la princesse qu'il y cache. La blonde a le regard d'une vipère, les pupilles tendrement posées sur la silhouette de Nina à quelques mètres de son véhicule marchant le long du trottoir. Elle ressent une sorte de compassion pour cet être qu'elle est sur le point de dérober à la vie qui la rend heureuse. Car Hera le sait, la comprend même : elle ne subit pas son amour pour Cahal. Moran a lu dans les paroles de Morgan, dans ce timbre qu'il utilisait, combien elle leur était importante. C'est aussi ce qui la frappe en premier : le manque de prudence. En quittant l'allée de Mcgrath, ensanglantée, prête à rendre les armes, elle s'imaginait qu'ils l'enferment dans du papier bulles pour empêcher quiconque de l'approcher mais il n'en est rien. Nina n'est qu'un oisillon tombé du nid face à la mafia australienne.

Son regard dévie sur le rétroviseur où elle perçoit deux de ses hommes marcher d'un pas rapide, capuche sur le visage. Ils sont si grands : deux ogres mis au monde afin d'arracher aux trottoirs les nymphes qui les peuplent. Ce n'est qu'une action comme les autres, une habitude qu'ils se plaisent à accomplir pour les Moran depuis de longues années. Attraper des nanas, même en plein jour, à la vue de tous n'est qu'une formalité. Hera ralentit légèrement, baisse la vitre teintée de sa voiture alors que ses yeux glacés se posent sur elle. La reine l'accoste : elle sait qu'il ne suffit que d'une seconde d'inattention. Le nombre de personnes disparues chaque année et sans la moindre explication, dont on ne retrouve jamais les corps est effroyable. Excusez-moi ? Le regard de Nina se plonge dans le sien. L'instant est si éphémère que Moran peine à prendre sa respiration. La portière arrière s'ouvre tandis qu'une main se pose sur son visage, masquant alors plus de la moitié de ses traits. Leur poigne est solide, cruelle. Ses cris étouffés dans les phalanges gantées de l'un de ses hommes pendant qu'un autre plante une arme dans son ventre pour l'inciter à ne pas trop se débattre afin de ne pas finir trouée d'une balle. La voiture aux vitres opaques la gobe en quelques secondes. S'il n'est pas encore très tard, le centre ville est suffisamment bondé pour que personne ne les remarque. Le moteur, tranquille, reprend un peu de puissance tandis qu'Hera entame la route les menant tout droit vers l'enfer tout spécialement conçu pour McGrath. C'est aussi pour cela qu'elle n'a jamais fait la promesse à Morgan de laisser Nina intacte. Par sentiments pour le blond, Moran ne peut pas faire l'impasse sur le talon d'Achille de son adversaire.

Plongée dans son silence, la reine ne pense en réalité à personne en embarquant avec elle Nina. Que Cahal tue sa sœur était une chose, mais qu'il tire sur elle et porte atteinte à son pouvoir en était une autre, bien plus grave, qu'elle ne saurait jamais lui pardonner. Elle n'avait cessé de les mettre en garde au cours des derniers mois, avait alors conseillé Morgan de la protéger afin que tout se passe bien mais l'ego des frères avait dégueulé sur la raison. Tous si persuadés qu'une femme comme Moran ne serait jamais capable de porter atteinte à leur honneur. Les paysages de la ville changent jusqu'à les expulser brutalement. Bientôt, Lewisburg ne sera plus qu'un souvenir. Les mains d'Hera se resserrent brutalement sur son volant. Tandis que ses hommes ont posé un bandeau sur la bouche de Nina pour ne pas qu'elle puisse parler, Moran n'a qu'à leur jeter un regard en arrière pour leur demander de lui enlever. La reine ne parle pas, concentrée sur la route et son but. Elle ressent la tension de Wahlberg mais ne lui laisse pas le choix.
Cahal non plus n'avait pas donné la possibilité à sa sœur de fuir.
Il est temps que lui aussi comprenne son erreur : celle d'aimer et d'être cet homme.

En cet instant, Hera balaye d'un battement de cils les moments de paix partagés avec Morgan, la chaleur de Lonàn, l'insolence d'Aodh. Elle les abandonne tous au profit de sa haine et de Cahal.
Elle le choisit lui mais aussi leur guerre.

(c) calaveras.

Le corbeau est bien trop loin pour protéger la rose que ses ennemis veulent déraciner. Cette faiblesse tant convoitée qu’il voudrait garder entre les pierres de son jardin secret. Préserver son innocence et sa beauté que les autres rêvent de souiller. De la piétiner pour voir la terreur dans les yeux de celui qui aime tant la semer. Voir la charogne manger la terre pour espérer sauver les quelques pétales pas encore fanés. Pensant que tu es la seule chose pour laquelle l’oiseau de malheur serait prêt à ployer. T’as la naïveté de le croire au-dessus de lois, dans ce jeu de guerre auquel il ne renoncera pas. Cette soif de règne que le vent soulève entre ses plumes noires.

Tu ne sais pas que son ombre rôde autour de toi. Tu ne sais pas que la reine d’argent danse déjà sur ton corps froid. La vengeance pour seule combat, ses opales se délectent de sa proie. Mais t’es trop aveuglée par l’amour de ton roi. Tu vogues entre les passants, le regard rivé sur ses quelques mots qui te font penser que c’est le bon moment. Ce soir, tu vas tout lui avouer. Une fois de plus, la lune pour seule témoin de ce chapitre que vous vous apprêtez à dessiner. Lui parler de ce bébé que tu t’es déjà perdue à aimer. Le fruit de ce que vos cœurs ne cesseront jamais de chanter. Tes perles se posent instinctivement sur les diamants immaculés. Cahal a beau être un parfait conteur, ses lèvres se sont teintés d’honnêteté la nuit où il t’a demandée de l’épouser. T'as presque l’air d’une enfant, lorsque ta main se pose instinctivement sur ton trésor caché. Le bonheur fait briller tes cheveux dorés. Te redonne ses ailes que tu croyais brisées. Si seulement la reine ne s’apprêtait pas à frapper.

Ta porcelaine se tourne naïvement vers celle que tu ne pensais plus jamais croiser. Ton cœur s’arrête avant de s’écraser. Ton océan se trouble et tu n’as même pas le temps de crier. Ses monstres avides de sang se jettent sur toi avec cruauté. T’essayes de te défendre, jusqu’à ce que le fer vienne embrasser cette vie fragile que tu tentes de protéger. Tu ravales tes larmes, tes ailes se baissent pour calmer les sombres âmes. On te jette dans sa toile, tissée par la haine et la vengeance.

Liberté envolée, on te soumet au silence. La flanelle viole tes lèvres avec insolence et tu défis de tes iris celle qui se voit déjà gagnante. Les larmes laissent place à la colère. Celle de te savoir si faible, d’être sa prisonnière. Parfois tu voudrais être aussi cruelle. Écraser une bonne fois pour toute ce fichu cœur qui te rend si humaine. Être une vraie reine dans ce jeu d’échecs que tu ne comprends toujours pas. Si seulement tu pouvais être comme Hera.
Le paysage défile à un rythme effréné. Tu sens la panique te consumer lorsque la ville semble s’être évaporée. Tu comprends que tu ne le reverras certainement pas. Que tu ne les reverras pas. Tu vas disparaître pour laisser ton Irlande derrière toi. Tu tentes de rester calme, mais tu ne la lâches pas du regard. Ça amuse les monstres à côté de toi, de voir une chose si fragile entre leurs mains. L’un d’eux s’égare et ose toucher ton visage. Dessiner ta fossette d’un simple geste. Ta glace le transperce lorsqu’il te délaisse de ton bâillon. Elle se répand contre le rétroviseur et le reflet de la blonde. « Heureuse que tu te montres enfin sous ton vrai jour, Hera. » Tu fais référence à cette journée où tu l’as prise sous ton aile en pensant aider une âme esseulée. Où elle s’est jouée de toi pour t’envenimer l’esprit afin de te faire douter. Que tu remettes en question les sentiments de cet homme trop aimé. Sa froideur est plus saisissante que la tienne. Tu te sens comme un moineau perdu dans l’hiver. Pourtant ta porcelaine te donne cet air encore fier. Mais tu sais que la reine est aussi forte que belle. « Si tu crois que je vais implorer ta pitié, tu te trompes. » Car tu sais qu’elle en est dépourvue. Que sa haine pour Cahal l’aveugle depuis que leur trêve est rompue. « Que comptes tu faire ? Rajouter à vos victimes une innocente de plus ? » Comme si Dione ne suffisait pas. Comme si la mort devait chanter une dernière fois. Premier pantin de ce jeu macabre entre les deux souverains. « Tue-moi, ça l’anéantira peut-être un temps, jusqu’à ce qu’il se relève et te chasse afin me venger. » Et ça te tord les entrailles de l’imaginer ainsi. De voir son visage fissuré par l’infamie. « Quand est-ce que vous comprendrez que tout cela doit cesser ? » Tu sais de quoi est capable le monstre que peut être ton fiancé. Tu sais que rien ne pourra l’arrêter, pas même l’odeur de ton sang et de ton corps délaissé.

(c) calaveras.

Dione.
Elle ne pense qu'à elle après des mois de déni. Toutes ses pensées se tournent vers sa sœur qu'elle imagine dans le même état lorsque Cahal avait décidé que ce serait la fin. Elle devait avoir la même fierté de Nina, celle des femmes qui se savent sur le point de perdre la vie mais qui se débattent malgré tout pour leur honneur. Dans le reflet du rétroviseur, malgré les larmes et la glace, Moran la trouve magnifique. Encore plus belle que cette journée où elle était venue la voir, curieuse de découvrir l'or du corbeau afin de le lui dérober quelques semaines plus tard. La reine s'efforce de ne pas ressentir la moindre émotion mais ses doigts se resserrent un peu plus nerveusement sur le volant de sa voiture. Les paysages défilent mais seules les paroles de Nina l'entêtent. Sa mâchoire se crispe et ses yeux se figent sur la route.
Penser à Dione la rend plus vulnérable malgré la froideur dont font preuve ses traits. Il y a là une sorte de bravoure, celle de maintenir les apparences tandis que son cœur à l'agonie reprend du service, se réveille et réalise les morceaux de verre incrustés dans ses muscles.
Sa petite sœur est morte et la vengeance est aujourd'hui le seul moyen qu'elle a trouvé de se défaire de son chagrin. Une agonie si profondément enfouie en elle qu'elle la ressent à peine et lui apporte trop peu de crédit. Hera passe son existence à filtrer ses sentiments pour ne pas que certains débordent au détriment des autres. Tout est dans l'équilibre, dans la force des mots et des actes mais en cette journée noire, autoriser le chagrin à prendre le pas l'aide à se purger de tout ce mal accumulé au cours des derniers mois.

Enchantée, Nina. Sa voix est dénuée de son sarcasme naturel. Ses lèvres trouvent à peine la force d'émettre le moindre son. Ses pupilles s'accrochent un instant à son reflet tandis qu'un rire lugubre dégueule de sa langue. Hera se laisse remuer par ce sourire tel un sanglot, ses épaules remuent mollement mais elle ne ressent plus que les choses à moitié. Tout lui semble si lointain que même la colère de Nina parvient tout juste à l'ébranler. Moran se sent renoncer à elle-même au fil des kilomètres. La ville et ses visages s'éloignent dans leur dos et l'âme de la reine se brouille, devient alors d'un gris fade où plus rien ne semble avoir la moindre importance. Que Cahal les retrouve ce soir ou demain ne change plus rien pourvu qu'il souffre. Qu'importe que sa peine s'éternise ou qu'elle s'efface aussi rapidement que la marée qui monte avant de se retirer. Elle se fiche de la durée. Tant qu'il ne la tuera pas, Hera creusera toujours afin de le mettre à genoux. Si Nina ne suffit pas, elle retournera cette ville, quitte à lui voler son empire, quitte à le déposséder de ses frères. Elle ne voit plus en lui un homme mais la source de toutes ses souffrances. Adon disait que rien n'était plus dangereux que le bonheur d'une femme réduit en cendres. Cette leçon là, Hera elle-même la lui faisait dans chaque regard désabusé qu'elle lui lançait.

Je ne vais pas te tuer. Qu'elle siffle immédiatement, d'un ton agacé qui sonne alors comme une promesse qu'elle lui fait. Hera accélère légèrement, laisse à ses hommes le loisir de la tourmenter sans se mêler de leurs mains qui l'effleurent et de leurs souffles oppressants contre sa peau. Entourée de prédateurs, Nina semble irradier de toute sa force. Je n'aurais aucune satisfaction à le voir pleurer ta dépouille. Elle veut le voir la chercher, vivre avec l'espoir douloureux de la retrouver sans savoir si sa bien aimée est toujours vivante. Plus douloureux encore que la mort : l'absence. Sois flattée, dans quelques heures, cet homme retournera toute la ville pour toi. Sarcasme latent, mépris de l'amour qu'ils se portent et à laquelle Hera ne veut croire. La reine vomit sur les sentiments. Ce n'est pas grave s'il termine par me retrouver ou s'il désire te venger. Cahal a bien moins de chance que moi, il lui faudra chercher encore longtemps afin de m'enlever quoi que ce soit. Ma douce Dione est déjà morte de ses mains. Tu le sais, n'est-ce pas ? Bien sûr qu'elle le sait ; Nina doit être de ces merveilles dont les secrets éclatent au contact de sa peau. Sa souffrance n'égalera jamais celle de perdre l'unique famille que je possédais. Alors non, Nina, ça ne peut pas cesser … ça ne pourra jamais. Le paysage sombre dans laquelle sa haine évolue semble soudainement s'alourdir lorsqu'elle reprend la parole. Si ce n'est pas moi alors ce sera un autre. Tu finiras éclaboussée par ce qu'il est, qu'importe ta force et ta détermination. Vois ça comme un rite de passage. Est-ce que tu as les tripes suffisamment accrochées pour le supporter ? Cette ombre noire tout autour d'elle que le corbeau déteint sur son aura. Car l'un ne peut aller sans l'autre et qu'Hera était elle aussi préservée et souillée par l'influence qu'Adon imposait tout autour de lui. On ne peut vivre aveugle lorsque se dessine tout autour de nous l'enfer.
Rien ni personne ne peut espérer voir surgir la lumière d'une obscurité si profonde.
Si Moran brillait autrefois, elle avait fait le choix de s'éteindre car sa survie comptait plus que ses rêves.

(c) calaveras.