La nuit est noire, malgré les lumières qui la perturbent. La nuit est calme, malgré les airs de jazz qui s’échappent des quartiers de la grande ville. L’espace, le temps, tout est relatif. Tout est perception. A cet instant, je suis dans la brume. Au sens littéral. Au sens figuré. J’avance, sans savoir ou je vais. A moins que je fasse du sur place, sans m’en rendre compte. Je ne sais pas trop. Sous mes yeux, c’est toujours la même chose. Dans mon coeur, c’est toujours la même douleur.
Cette douleur qui n’a pas de comparaison. Peut-être est-ce ça, la mort ? Peut-être est-ce la douleur invisible mais présente; celle qui vous coupe le souffle et que vous ne pouvez réellement décrire, nommer, identifier. La douleur du corps mais surtout, la douleur de l’âme. A croire que je suis cassée de l’intérieur. Je souffle et le nuage qui s’échappe de ma bouche est la seule chose qui me prouve que je suis encore en vie.
Comme mon téléphone sonne dans ma poche. Je ferme les yeux, mes doigts se resserrant sur le métal et le verre qui vibre contre ma paume. Je ne veux pas répondre. Je ne veux pas voir ce qu’on me veut. Je ne veux rien entendre. Je veux juste être seule. Je veux juste qu’on me laisse. Comme un oisillon tombé du nid, incapable de voler car il s’est brisé les ailes lors de son premier vol.
Je ne suis que faiblesse, clouée à ce sol qui n’est pas le mien. Mon sol, ma douce ville de Chicago est loin. Si loin que j’ai cru que le changement d’air m’aiderait à la convalescence. J’ai cru pouvoir oublier les mots durs et les accusations. Pourtant, c’est pire. Je les entends quand je dors, maintenant. Je vois leurs regards quand je ferme les yeux. Tout est devenu si dur, si intense, si vrai… Que je ne dors plus.
Voilà pourquoi je suis ici. Parce que je ne dors plus. Parce que je suis incapable de dormir. Il est presque cinq heures du matin, et j’erre dans la ville. Enfin… Dans la ville. J’erre dans ce que j’ai trouvé de plus familier, de plus tranquille. Ce qui ressemble le plus à ce qu’il reste de mon âme probablement.
Le lac est si paisible la nuit. Quelques bateaux qui passent. Quelles voitures qui traversent le lac par la route. Une légère couche de brume qui lui donne des allures mystiques.
La nuit est noire et tout est flou à travers le brouillard qui couvre les eaux du lac. La nuit est calme, malgré les airs de jazz qui me parviennent à peine maintenant.
Sous mes yeux, l’eau noire du lac danse avec le reflet de la lune. Il fait plus frais que d’habitude ce soir. Peut-être parce que d’habitude, je n’avance pas si loin. Peut-être parce que d’habitude, je ne reste pas aussi longtemps dehors. Mais ce soir, je veux aller plus loin.
Un pied devant l’autre, je marche sur le bitume du pont, les yeux sur le vide à côté. Le vide et ses allures attirantes. Nouvelle sonnerie. La sonnerie de trop qui scelle le sort de l’appareil. Lui aussi, il prend son envol. Droit dans l’immensité noir qui danse, insouciante. Elle l’avale et le silence revient.
Je m’arrête pour contempler ce qui vient de se produire. Le silence et le calme sont revenus. Si simplement… Que chaque seconde passée à observer le vide et l’eau prête à m’engloutir ancre dans mon esprit des idées macabrement séduisantes.
Sujet: Re: fb; light on the other side ☆☆ Mer 3 Juin - 1:53
Beatrix & Lonàn
light on the other side (FB) Février 2017
Une main sur le volant, l’autre bras contre la portière à soutenir sa tête et le regard porté loin devant sur la route, le chemin est encore long pour rentrer chez lui, à Lewisburg. Petite journée passée à la Nouvelle-Orléans pour affaire. Une livraison à faire et de nouveaux clients fortunés à rencontrer. La journée a été longue pour un homme qui a bien plus l’habitude de vivre la nuit. Difficile pour lui de se lever avant midi. La motivation a eu du mal à montrer le bout de son nez mais au final, changer de paysage ne lui fait pas de mal. Certes, il se fiche éperdument de faire du tourisme mais la ville reste bien plus grande et intéressante que Lewisburg. Tellement de choses à voir, de bars à découvrir, d’endroits sympas à tester. Parce que dès lors qu’il s’agit de s’amuser, Lonàn n’est pas le dernier.
Les affaires réglées, il ne s’est pas décidé à prendre la route tout de suite après pour rentrer. Non, bien sûr que non. Quitte à être sur place, autant en profiter. Avec modération cependant parce que la route attend juste derrière. Quelques boissons avalées, diverses rencontres sympa au cours de la soirée et l’heure de rentrer n’a pas tarder à sonner. Sur les coups de cinq heures du matin, il est presque seul sur le chemin du retour. A cette heure, soit les fêtards ne sont pas encore couchés, soit le commun des mortels dort dans les bras de Morphée depuis longtemps. La musique à fond de balle dans l’habitacle de sa voiture pour se maintenir éveillé, il tapote sur son volant en rythme avec la mélodie. Des restes de festivités encore plein la tête, il se met même à chanter.
Jusqu’à ce qu’au loin, sur le pont qu’il s’apprête à traverser, une silhouette attire son attention. Perplexe, il ralentit l’allure et constate qu’elle est un peu trop proche du bord. Une femme seule, en pleine nuit sur un pont, n’est-ce pas là le scénario d’un film catastrophe ? D’un fait divers dans la rubrique nécrologique ? L’hypothèse de tomber sur une dame blanche des légendes urbaines lui effleure l’esprit, mais peu croyant à ce genre de connerie, il chasse bien vite l’idée de son esprit. Impossible de poursuivre sa route tant la présence de cette femme l’interpelle. Un mauvais pressentiment parcourt sa peau en un long frisson. Il se doit d’intervenir. Il n’y réfléchit même pas et s’arrête sur le bas côté. Le moteur coupé et la ceinture retirée, il s’extirpe de sa voiture pour en sortir. Avance de quelques pas vers la demoiselle, en restant à bonne distance quand même. Il ne s’agirait pas de lui faire peur et de la faire sauter. « Excusez-moi ! » Le tout, c’est juste de capter son attention. Avec une douceur qui ne lui ressemble pas, il continue sur sa lancée. « Est-ce que… Je peux vous aider ? » Il marche sur des œufs, littéralement. Peu habitué à se retrouver confronté à ce genre de situation, il ne sait pas vraiment comment réagir. « Vous savez, pour un bain de minuit, je connais des endroits un peu plus agréables que celui-là. » Tentative d’humour pour dédramatiser la situation et briser la glace, le tout accompagné d’un sourire avenant et chaleureux.
Les contemplations sont ces moments rares données à l’Homme pour prendre le temps de faire un point sur la situation. Ces moments de répit, ou non, qui lui permettent de regarder ce qui se dessine droit devant lui pour son avenir. Il n’est pas question de regarder derrière, dans le passé. Non. Il est question d’être là, dans le présent, les deux pieds bien ancrés dans le sol et de regarder droit devant. Droit devant, c’est la noirceur de l’eau qui scintille à peine sous la lune qui me répond. Il n’y a même plus de vagues suite au plongeon de mon téléphone dans l’eau. L’eau est paisible.
Et je sursaute, fermant les yeux, portant ma main contre mon cœur alors que j’entends une voix. Je ferme les yeux, parce que je ne sais qui vient de perturber ce moment de contemplation. Je ferme les yeux, parce que je veux prendre un moment pour moi, pour me recomposer, peut-être. Je ne sais pas. J’ouvre les yeux, dernier regard sur l’eau avant de tourner la tête sur le côté.
Un peu plus loin, dans la lueur des phares, une silhouette masculine se dessine. Je suis incapable de le détailler, de faire attention. Je ne vois que sa forme. Sa voix est mal assurée et je présume qu’il n’est pas un habitué de ce genre de situation. Mais, quel genre de situation est-ce ? J’essaye d’imaginer ce qu’il peut voir, ce qu’il peut imaginer. Est-ce qu’il peut m’aider ?
Sa question me fait réfléchir. Est-ce que quelqu’un peut m’aider ? Je tourne de nouveau la tête, espérant retrouver la vision de calme que j’avais. Personne ne peut m’aider. Même moi, je n’en suis pas capable. Personne ne peut arrêter cette hémorragie virulente qui a vidé mon cœur quand le choc frontal du procès a brisé ma vie. Je ne suis plus qu’une enveloppe charnelle dont le cœur ne bat plus, dont le cerveau est asphyxié. Qui peut remédier à ça ? Personne. Certainement pas lui.
Lui qui essaye de dédramatiser, ce qui me fait hausser un sourcil à son audace. Il n’a pas idée. Il ne sait pas. Il ne comprend pas. Et probablement qu’il ne peut pas comprendre, maintenant que je le regarde du coup de l’œil. Maintenant que je peux voir sa dégaine puisqu’il est plus près.
« Il n’est plus minuit. Et qui a dit que cela devait être agréable ? » J’ai la voix aussi froide que l’ambiance autour. Je suis sèche, aussi, parce que je ne veux pas spécialement qu’il me réponde, qu’il s’attarde. Qu’il retourne dans sa voiture et remette le contact pour rouler dans la nuit. Qu’il oublie ce qu’il a vu ici. Qu’il poursuive sa vie sans tenir compte de la mienne.
« Vous savez, vous devriez remonter dans votre voiture et prétendre que vous n’avez rien vu, ni entendu. » Et c’est la stricte vérité. Cela serait plus simple pour lui, pour moi, pour tout le monde. Lui, il pourrait prétendre ne rien savoir. Pour sa santé mentale et si jamais quelqu’un vient lui poser des questions. Pour moi, juste pour que je sois tranquille, que je puisse trouver le calme. Pour tout le monde, car même si il y a des vagues au départ, tout le monde se contente de l’eau paisible.
Sujet: Re: fb; light on the other side ☆☆ Jeu 11 Juin - 0:05
Beatrix & Lonàn
light on the other side (FB) Février 2017
Dans sa vie, Lonàn a de nombreuses fois côtoyé la mort. Jamais la sienne, pas encore. Celle des autres en revanche, c’est monnaie courante. Parce qu’il a déjà ôté la vie, McGrath. Envoyé par son aîné pour faire le sale boulot, pour faire passer des messages. Parfois, les choses dérapent et échappent à son contrôle. Des fois, il a des comptes à régler et du sang sur les mains, il en a depuis sa majorité. A chaque fois, de son point de vue, ces connards sur qui il s’acharne le méritent. Ce soir, c’est différent. Ce soir, c’est une femme innocente qui, de son plein gré, semble prête à en finir définitivement. Ce soir, c’est une grande première ; être confronté à ce genre de situation hors de son contrôle, c’est perturbant. Déstabilisant. Peu réputé par sa capacité de réflexion à toute épreuve, le sauvetage s’annonce éprouvant. Saura-t-il trouver les bons mots pour la convaincre ? Rien n’est moins sûr. Lonàn, ce n’est pas le mec le plus réconfortant. Pas doué pour manier les mots, impossible de connaitre le dénouement à l'avance.
Avec toutes les précautions du monde, il s’approche doucement. Tente un peu de détendre l’atmosphère. Echec cuisant. « C’était une façon de parler mais… Un bain de cinq heures du mat’ ça veut rien dire. » Avançant lentement, il pose une main sur la barrière. Il est encore trop loin pour la retenir si jamais elle décide de sauter. Se rapprocher davantage pourrait même la braquer et à lui faire perdre pied. Inutile de la brusquer. La voix de la demoiselle s’élève de nouveau. Les sourcils de Lonàn se haussent et une grimace vient déformer les traits de son visage. « Ah, je veux bien avoir quelques soucis de mémoire, mais pas à ce point là. Et pour tout vous avouer, j’suis pas trop fan du mensonge. Ça n’attire que des emmerdes. » Même si enjoliver la vérité peut parfois s’avérer nécessaire. Rapidement, il jette un œil par-dessus la barrière. Jauge vite fait la distance avec la surface de l’eau. « C’est quand même vachement haut, on doit bien le sentir passer. Peut-être même qu’on peut se péter une jambe de cette hauteur. Mais bon, j’peux pas dire, j’suis pas expert. J’suis pas médecin non plus, mais je peux affirmer sans me tromper qu’on doit sans doute se casser quelques os en sautant d’ici. » A vrai dire, il n’en a foutrement aucune idée. Il bluff, comme d’habitude lorsqu’il n’est pas sûr de lui. Souvent donc. « Pourtant, j’suis prêt à prendre le risque. Si tu sautes, je saute aussi. » Aucun doute là-dessus en revanche. Lonàn est un homme de parole. Bien qu’il n’ait aucune envie de mettre fin à ses jours. Peut-être qu’en s’embarquant dans cette affaire, en prenant conscience que sa vie à lui aussi est menacée, elle reculera et reviendra sur sa décision. Après tout, il ne la connait pas alors il doit tout tenter pour lui faire entendre raison.
Une façon de parler. Plus jeune, j’accordais beaucoup de poids aux mots. Parce que c’était ce que je comprenais le mieux. Parce que c’était évident. A moins de jouer avec les subtilités de la langue, de maîtriser l’ironie, les mots qui émanaient de la bouche des uns ou des autres avaient toujours à mes yeux valeur de vérité. Parce que c’est comme cela que l’on apprend aux enfants à communiquer, d’abord. C’est avec l’âge que l’on associe l’observation à la parole. Les mots sont accompagnés de gestes, volontaires ou non. Ils sont accompagnés d’intonations et d’attitudes. Alors, ils prennent une autre dimension. On mélange la voix et le corps et on obtient une tirade intéressante à déchiffrer. Et puis, enfin, c’est le langage du corps et du corps uniquement que j’ai appris.
Des mois et des années à regarder les gens. Pas pour connaître leurs secrets les plus honteux. Qu’en avais-je à faire qu’un tel ou un tel soit responsable de telle ou telle chose. Non, j’écoutais les corps et leurs douleurs. Physique ou psychique, la douleur était devenue mon langage quotidien. Et si j’avais su, que la douleur deviendrait mon quotidien, mon ombre à moi aussi…
Mon corps me signale que le sien approche et pourtant je ne le regarde pas. Non. Je fixe toujours l’eau sous nos yeux. Et sa voix qui commente ce que nous contemplons. Dans sa voix, j’entends qu’il essaye de se rassurer, de me rassurer. Dans la façon qu’il a d’approcher, il reste méfiant, il appréhende le moindre de mes gestes. Qui suis-je pour lui en vouloir ? Personne. De façon différente, j’ai déjà vécu la situation.
« D’ici… La première chose qui vous heurte, c’est l’eau. A moins d’être bon nageur, la première rencontre est un plat, violent. Une claque si violente contre la peau qu’elle vous coupe le souffle. Ensuite, c’est le froid. L’eau est froide en cette période de l’année, plus encore à cette heure-ci. » Je ne m’arrête qu’un instant, remarquant que je prends cette voix de médecin, lente et explicative comme je le faisais il y a encore quelques temps. « Le combo des deux vous paralyse. Avec la distance, l’impact…. Le corps sombre assez profondément pour peiner à remonter. Alors… Soit, vous mourrez noyé, incapable de remonter à la surface à temps. Soit, vous remontez… Mais, votre corps sera si mal… Que si personne n’est là pour vous venir en aide, sur un bateau… Vous mourrez aussi. »
Le constat est glacial et il donnerait froid à n’importe qui. Moi, non. Moi, je rigole juste à sa référence. Titanic. Comme si le moment s’y prêtait. Comme si ce n’était pas ridicule. Je tourne la tête et je le regarde, incapable de la moindre émotion à ce moment-là. « Garde tes chaussures… Ça évite les histoires ridicules et inutiles. » Je souffle et tourne de nouveau la tête. Pas pour retourner aux doux mouvements du lac, non, pour voir sa voiture plus loin. « Et après, quoi ? On grimpe dans ton carrosse et on va dans les étoiles, Jack ? » L’ironie est lourde. Aussi lourde que mes humeurs.
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Une main sur le volant, l’autre bras contre la portière à soutenir sa tête et le regard porté loin devant sur la route, le chemin est encore long pour rentrer chez lui, à Lewisburg. Petite journée passée à la Nouvelle-Orléans pour affaire. Une livraison à faire et de nouveaux clients fortunés à rencontrer. La journée a été longue pour un homme qui a bien plus l’habitude de vivre la nuit. Difficile pour lui de se lever avant midi. La motivation a eu du mal à montrer le bout de son nez mais au final, changer de paysage ne lui fait pas de mal. Certes, il se fiche éperdument de faire du tourisme mais la ville reste bien plus grande et intéressante que Lewisburg. Tellement de choses à voir, de bars à découvrir, d’endroits sympas à tester. Parce que dès lors qu’il s’agit de s’amuser, Lonàn n’est pas le dernier.
