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C'est dans la nuit du 9 au 10 novembre que les quatre ressortissants américains ont été portés disparus suite à une expédition au sein de la province de la Kâpîssâ. L'enlèvement a finalement été revendiqué par l'État Islamique, vingt-quatre heures après la déclaration de leur disparition par l'État-Major américain. Parmi les quatres otages, on compte Nassim Fathi, capitaine de l'U.S. Army, Paul Harrington, membre des Forces Spéciales américaines, Steven Phillips, second lieutenant de l'U.S. Army, ainsi que le photographe et reporter de guerre Theodore McCullum Jr. [...] Alors que le 7 novembre, sept Hazaras chiites étaient retrouvés décapités au coeur de la province de Zabol après la passation d'un accord entre les talibans du mollah Akhtar Mohammad Mansour et les Hazaras, la prise d'otage des quatres ressortissants américains résonne comme un nouveau coup de tonnerre dans le paysage diplomatique du Moyen-Orient. [...] Theodore McCullum Jr., fils du célèbre avocat, s'est notamment fait connaître du grand public par ses clichés à l'argentique pris durant la Première guerre civile libyenne en 2011. [...]


On est le douze janvier deux mille cinq. J'ai vingt-et-un ans. Soupir. C'est con, putain, parce que j'suis enfin majeur et- Et au final le seul truc auquel je pense depuis ce matin, c'est au fait que j'suis là, comme un con dans ma chambre universitaire. Et ma mère me manque. Rire. C'est n'importe quoi. J'étais chez mon père pour les vacances de Noël. J'ai juste l'impression d'être un étranger, à chaque fois que je rentre. C'est tous les six mois, mais faut croire que c'est déjà trop, hein. Il paie les études à Columbia, il refait encore un gosse de plus dans un mariage de plus, et il est pas foutu de m'appeler pour me souhaiter un joyeux anniversaire. C'est Mike qui m'a appelée toute seule, tout à l'heure. [...] J'sais pas ce qui le fait le plus chier, franchement. Ou qu'est-ce que c'est exactement, son problème ; pourquoi il fait ça, là, de changer de vie tous les dix ans et nous traiter comme des putains de trophées. Une femme, un gosse, on repart pour quelques années et puis ensuite, on recommence. Il ouvre sa fenêtre avec peine, allume une cigarette. Donc voilà, génial, vraiment. Joyeux anniversaire, Theodore. T'es majeur, tu devrais aller te bourrer la gueule dans les règles de l'art, et au final t'es là à parler tout seul devant une webcam de merde avant de te remettre à bosser parce que t'es pas- foutu- d'réussir à rester assis deux secondes devant un essai.


Cliquetis métallique.
LTG: Veuillez décliner votre identité, ainsi que votre date et lieu de naissance, s'il-vous-plaît.
T.J: Silence. Mon nom est Theodore McCullum Junior, je suis né à Chicago le douze janvier mille neuf cent quatre-vingt quatre.
DR: Monsieur McCullum, nous procédons aujourd'hui avec vous à un débriefing complet de votre expérience en Afghanistan. Les médecins de l'hôpital militaire américain de Stuttgart ont procédé ce matin avec vous à un répertoire des blessures qui vous ont été infligées au cours de ces mille trois cent quatre-vingt quatre jours de détention auprès de l'organisation terroriste EI. Le rapport, que j'ai juste ici, note la présence de multiples sévices physiques, dont des brûlures sur les épaules, des lacérations dans le dos ainsi qu'une fracture ouverte au niveau du tibia gauche ayant suscité la nécessité d'une opération et d'une amputation.
[...]
DR: Comment vous sentez-vous à l'idée de rentrer dans votre pays et retrouver vos proches ?
Silence.


Cameron,

Tu sais depuis trop longtemps que je ne sais pas parler. À la limite écrire, si tu oublies mes fautes et mes maladresses. Quatre ans. C'est long, quatre ans, sans toi. Tu ne veux même pas savoir à quel point c'est long, quand chaque jour on fait le calcul. J'ai additionné un plus un plus un plus un. J'ai rajouté une barre et j'ai rajouté un à la liste de tous les autres uns que j'avais laissés derrière moi, sans savoir si je savais seulement réellement compter le temps qui passait, là-bas. Tu me détestais, parce que je te laissais mon alliance à chaque fois que je partais en reportage, parce que j'avais trop peur de la perdre ou de me blesser avec. J'ai compté un plus un plus un plus un, et à la fin j'en savais rien, de quel jour on était, de quelle heure il était, là où tu dormais. Si tu dormais, si tu y arrivais. J'ai rajouté des barres à d'autres barres et j'ai dit que je t'aimais à chaque fois. Je sais que je le disais pas, pas assez, même si je m'étais mis à genoux, même si je t'avais demandé de m'épouser. Je sais que j'étais un con, que j'en suis sûrement toujours un. [...] Tu as bien fait, j'imagine, de refaire ta vie. On ne peut pas demander à quelqu'un d'attendre qu'un mort revienne à la vie. J'espère qu'il t'aime, lui. Qu'il sait ajouter un à un à un à un. [...] Tu me manques. J'ai besoin de vérifier que t'es vivant, parfois, au milieu de la nuit. Comme si en t'embrassant, en sentant ta peau, ça pourrait me rappeler que tu n'es pas juste un souvenir. J'espère que tu es heureux, c'est tout ce que tu as toujours mérité. Mais tu me manques, Cameron. [...] Tu mérites tout le bonheur du monde, mais putain, c'est vide sans toi. Je le vois dans tes yeux, en plus, la pitié. Ça te va pas. Ça me va pas. Mais je sais pas ce qui nous va. J'ai jamais su, faut croire. Excuse-moi.

Teddie.