Catapults are just angry spoons. || Hazel

Hawkins twins

Catapults are just angry spoons

La journée est longue – interminable – et elle a l’impression que jamais elle n’en verra le bout, Hazel. Chaque jour c’est le même refrain, elle n’en peut plus, la demoiselle. Elle rêve d'envoyer balader les clients chaque fois qu’ils l’interpellent. De gifler son patron chaque fois qu’il la reluque un peu trop ou qu’il se permet des réflexions déplacées. De lui balancer son tablier en pleine gueule pour lui faire ravaler sa fierté et lui exprimer sa façon de penser. Mais elle ne peut pas, Hazel. Prisonnière d’un job mal payé, avec un patron lourdingue à en gerber et des clients pas vraiment mieux placés. Parce que cet argent, aussi dérisoire soit-il, elle en a besoin pour vivre et nourrir sa fille. Alors chaque jour, elle prend sur elle. Encaisse pour ne pas tout envoyer valser. Rumine et tente de garder le sourire pour ne pas exploser. Un jour, elle trouvera une solution, elle s’en persuade pour ne pas flancher. Tout ce qu’elle a, c’est sa volonté. On ne peut pas dire qu’elle a brillé à l’école pour en sortir diplômée.

Et la nuit tombée, tu enfiles un nouveau tablier
Un second métier tout aussi détesté
Cette fois, tu donnes un peu plus de ta personne pour y gagner
Un autre masque que tu rêverais aussi de faire tomber.

L’heure de la délivrance va bientôt sonner. Elle ne cesse de la surveiller pour ne pas la rater. Hors de question qu’elle reste plus que nécessaire pour quelques minutes – ou heures – supplémentaires. Les pieds endoloris de rester debout depuis la matinée, elle amène les commandes à ses derniers clients de la journée. Son service arrive à sa fin, mais ce n’est pas pour autant que le Dinner va fermer. Plus que quelques minutes. Pour ne pas rater le coche, elle s’affaire à ranger vaguement quelques broutilles derrière le comptoir délavé. Passe un coup de chiffon histoire de ne pas rester les bras ballants à attendre que les secondes s’écoulent. A cette heure, le monde afflue, mais ce n’est plus vraiment son problème. Quand enfin sonne l’heure de la libération, elle ne se fait pas prier pour disparaitre et rejoindre les vestiaires pour retirer son tablier et récupérer sa veste et son sac. Enfin. Enfin, cette journée de torture prend fin. Un moment de répit, quelques heures de tranquillité avant d’enchainer sur la suite, quand sa fille aura rejoint les bras de Morphée.

En attendant, il est temps de prendre la fuite. Glissant ses doigts dans ses cheveux, elle prend la direction de la sortie. La voix de sa collègue qui l’interpelle la stoppe dans son élan. Fuck Cachant tant bien que mal le dépit qui s’imprègne sur les traits de son visage, elle s’avance vers sa collègue, priant intérieurement qu’elle ne lui demande pas de rester et cherchant déjà un tas d’excuses pour esquiver. Ce n’est que lorsque la blonde lui montre un type à proximité qu’Hazel remarque effectivement la présence de l’homme. Ses prunelles se posent nonchalamment sur lui et soudainement quelque chose lui tord l’estomac violemment. Ces yeux clairs. Ces boucles brunes. Ce visage familier, ce regard qui lui a tant manqué… L’évidence la frappe. Son cœur s’arrête de battre. La bouche entrouverte, aucun mot ne daigne en sortir. Tout reste bloqué, là, au creux de sa gorge serrée. Les jambes tremblantes, rassembler ses idées se révèle compliqué. Les bras lui en tombent, littéralement et tout ce qu’elle tient dans ses mains se retrouve à ses pieds. Sans qu’elle ne contrôle quoi que ce soit, sa vision commence à s’embuer et les larmes commencent à perler. « Helio… » Voix étranglée. A peine audible, difficile de comprendre ce qu’elle vient de prononcer. Qu’importe, en quelques secondes, la distance entre les jumeaux est rompue et c’est dans ses bras qu’elle se laisse tomber. Serre contre elle, ce frère retrouvé avec toute la force qu’elle possède, de peur qu’on ne vienne à nouveau le lui arracher.

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Quelle est douce cette sensation de complémentarité retrouvée. Qu’il est viscéral ce besoin de se compléter. Leurs deux âmes ne forment qu’une seule entité. Trop longtemps séparés durant toutes ces années, le retrouver est un bonheur inespéré. Dieu qu’Helio lui a manqué. Ce frère jumeau si précieux qu’on lui a arraché. Ils s’étaient pourtant accrochés l’un à l’autre avec la force de deux damnés, le jour où leur destin fut brisé. Parce qu’il ne faut pas se leurrer, même si leur vie a très mal débuté, elle ne s’est en rien arrangée au fil des années. Loin l’un de l’autre, leur existence n’a été qu’une longue agonie tourmentée. Incapable d’être heureuse, Hazel, elle s’est chaque jour enfoncée un peu plus dans son merdier. Une lueur d’espoir avec Falco mais qui s’est finalement révélée de courte durée. Cinq années de bonheur à ses côtés, autant de temps qu’elle avait passé avec son jumeau arraché. A croire que cinq années, c’est le maximum qu’on puisse lui accorder. Alors aujourd’hui, maintenant qu’elle l’a retrouvé, elle n’est pas décidée à le lâcher.

Contre lui, ce sont tous ses problèmes qui se sont envolés. Dans ses bras, elle ressent de nouveau cette unité qui les a toujours liés. Ses larmes coulent tellement qu’elle ne peut les stopper. Le parfum de son frère est enivrant et c’est contre sa peau, ses vêtements, qu’il vient s’imprégner. La chaleur de ses étreintes lui a tellement manqué. Si c’est un rêve, elle n’a pas envie de se réveiller. La question qui brise le silence de leurs retrouvailles, provoque chez elle un petit rire léger. « Ouii, c’est moi ! » Qu’elle murmure en déposant un doux baiser sur sa joue rosée. Ce moment hors du temps finit par en agacer certains. Sa collègue, notamment, qui ne manque pas de leur rappeler où ils se trouvent. Helio se détache de sa sœur, Hazel le lâche, à contrecœur. Levant les yeux au ciel et retenant un soupir, elle ne peut s’empêcher de dévisager sa collègue aigrie. « Rabat-joie. » Aucune forme d’amabilité envers la blonde, à quoi bon ? Elle déteste cet endroit infâme et ce job bidon. Lorsqu’elle reporte son attention sur son jumeau, elle constate d’un air attendri qu’il lui a ramassé ses affaires. « T’es trop mignon. » La sincérité coule sur sa langue comme une douce mélodie. Le sourire retrouvé en un instant, elle enfile sa veste et accroche son sac sur son épaule.

Pas de temps à perdre et surtout, inutile de s’éterniser d’avantage dans ce lieu qui pue la friture. Rapidement, elle attrape le bras de son double pour s’y accrocher. L’emmène à l’extérieur sans plus tarder. L’air frais lui fouette la peau et la ramène sur terre illico. Cette fois, plus personne pour les déranger. « J’ai tellement de questions à te poser ! Mais tu sais quoi, je suis trop heureuse de te retrouver alors ça attendra. » Sourire à présent greffé sur les lèvres, elle stoppe finalement sa marche pour déposer un nouveau baiser sur sa joue. « Laisse-moi te regarder ! » Elle lui fait face et attrape ses mains dans les siennes pour ne surtout pas le lâcher. La peur de le voir disparaitre en bien trop présente. Ses prunelles claires détaillent chaque parcelle de peau de son jumeau. Ses fameuses boucles brunes, chacun des traits de son visage, ses deux émeraudes scintillantes et son sourire tellement apaisant. « Tu es vraiment trop beau Helio. » Magnifique. Parfait, même. « Tu m’as tellement manqué. » Ses larmes se sont enfin arrêtées de couler. Elle a tellement de choses à lui dire, d’histoires à lui raconter. Sa fille, à lui présenter. Mais là, elle ne trouve plus les mots. Elle se perd dans sa contemplation. Et ce bonheur indéfinissable de le toucher et de l’avoir là, juste devant ses prunelles pleines d’émotion. « Promets-moi qu’on ne sera plus jamais séparés. » Par pitié.

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Il est là. Il est enfin là, après toutes ces années. Là, debout devant elle. Il respire. Il bouge. Il vit. Il est bel et bien là. Vivant. Et ça, c’est le plus important. C’est une partie de son âme qu’elle vient de récupérer en un instant. La boucle est bouclée. Son cœur est regonflé. Et de nouveau, elle retrouve sa capacité à respirer. Malgré les années, il n’a pas tant changé. Même en le croisant dans la rue, impossible de passer à côté sans le remarquer. Il y a comme cette aura qui l’attire et qui plane autour de lui. Il est la lumière de sa vie. Pour la première fois depuis de nombreuses années, elle a retrouvé le sourire. Le vrai. Le franc. Le sincère. Le plus heureux. Les compliments pleuvent d’un côté comme de l’autre. Evidemment qu’il est le plus beau, Helio. Forcément qu’elle est capable de lui trouver toutes les qualités du monde, parce qu’il les mérite toutes sans exception. « Je te le promets. » Il ne peut en être autrement. Elle refuse qu’on le lui arrache de nouveau, tout simplement. Maintenant qu’il est là, il y reste. De gré ou de force. Impossible de supporter un nouvel abandon. Pas depuis Falco. Et surtout pas de la part de son jumeau. Elle ne s’en relèverait jamais.

Mains dans les siennes, impossible de rompre le contact. D’un geste affectueux, il replace l’une de ses mèches de cheveux. Sa remarque lui arrache un rire léger. S’il bouscule les plans de sa soirée ? Oui, c’est certain. Mais à choisir, elle préfère nettement passer du temps avec lui que de se forcer à faire ce qu’elle fait chaque nuit. Pour ce soir, elle laisse de côté ses soucis. L’heure n’est plus aux nuages gris, mais à la douce éclaircie. « Je préfère largement ce changement de programme ! » Bien plus agréable, ça c’est une certitude. Passer du temps avec son jumeau ou se dessaper devant un écran, c’est vite vu. « Non j’habite dans le coin, justement ! En plus, j’ai quelqu’un à te présenter. Tu vas l’adorer, j’en suis sûre. » La douce petite Wendy. Elle n’a que sa mère dans sa vie. Pas d’autre famille alors accueillir un oncle, ça ne peut que la ravir. Tout sourire, Hazel, elle glisse son bras sous celui de son frère pour se mettre en route. Dans sa marche, elle ne peut s’empêcher de se serrer contre lui, pour le sentir tout près d’elle. Ressentir sa chaleur contre son corps. « Ne pose pas de question, je veux garder la surprise. » Autant le prévenir pour éviter qu’il ne se tourmente l’esprit à demander tout ce qui lui passe par la tête. La logique des choses voudrait qu’elle lui présente son mec, ou sa nana. Mais ce n’est pas le cas.

En quelques minutes, les jumeaux Hawkins arrivent en bas de l’immeuble misérable dans lequel vit la demoiselle depuis plus de dix ans. « Bon, je te préviens tout de suite, c’est pas le grand luxe. » Pour bosser dans un Dinner miteux, il est évident qu’elle ne roule pas sur l’or. Un sourire un peu confus, elle le lâche finalement pour entrer dans le bâtiment. Gravit les quelques marches pour rejoindre son étage. S’arrête devant l’une des portes pour appuyer sur la sonnette. Non, elle ne vit pas ici. Quelques secondes suffisent pour qu’une dame, retraitée, ouvre la porte en souriant. « Bonsoir. » Pas de longs discours. Pas besoin. La petite est déjà là et la voilà qui se jette dans les jambes de sa mère en criant un « mamaan ! » retentissant. Quelques échanges de courtoisie, des remerciements. Et la grand-mère referme la porte en souriant. Elle a l’œil, la petite, il ne lui faut pas beaucoup de temps pour repérer l’homme qui accompagne sa maman. Pas le temps de poser des questions, cependant, attrapant sa fille par la main, Hazel les guide tous les deux à destination cette fois. Elle déverrouille la porte et laisse la gamine entrer en premier avant de se tourner vers son frère adoré. « Allez, rentre, fais comme chez toi. » Elle dépose sa veste, lâche son sac dans un coin et referme une fois tout le monde à l’intérieur. La fillette s’est déjà éloignée, plus ou moins habituée à voir des gens défiler sous leur toit. « Wendy, viens là. Il faut que je te présente quelqu’un. » Surprise, la gamine, elle revient, perplexe. Doucement, presque maternelle pour une fois, Hazel pose une main dans le dos de la petite brune. « Voici Helio, mon frère jumeau. Et voici Wendy, ma fille. » Faible sourire sur les lèvres, elle redoute un peu la réaction de l’un et l’autre. Pourtant, il n’y a techniquement pas de quoi s’inquiéter. Pas de pression supposée. Pas de mauvaise surprise redoutée. C’est fou à quel point les choses deviennent compliquées quand ça comprend des êtres aimés. « Oh ? Donc ça veut dire que tu es mon… mon tonton ? »

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Wendy, le prénom de sa fille n’est pas choisi au hasard. Il a été mûrement réfléchi. Cependant, quand on connait réellement Hazel, il n’a rien d’étonnant. Petite, avec Helio, elle aimait s’imaginer en Wendy et Peter Pan, prêts à s’envoler au pays imaginaire. Parce qu’après tout, les jumeaux étaient de réels enfants perdus. Perdus dans une vie trop difficile à supporter. Perdus dans une famille malsaine et violente. Perdus dans une existence qu’ils ne pouvaient que subir tous les deux. Jusqu’à la séparation. Jusqu’à la déchirure et l’anéantissement de leur duo fusionnel. Wendy, c’est un hommage à ses rêveries de petite fille brisée. Un clin d’œil à un duo de personnage qui a marqué son enfance.

Chez elle, le choc d’Helio est palpable. Wendy s’en amuse et rie légèrement quand il lui touche le visage et les cheveux comme un objet non identifié. A croire qu’il n’a jamais vu d’enfant de sa vie. « Il est bizarre lui maman ! » Qu’elle ne peut s’empêcher de sortir en riant, la petite, face à la réaction surprenante de son oncle. Visiblement au bord de la syncope, il attrape le bras de sa sœur qui ne peut s’empêcher de rire à son tour. Ouais, ça en fait des nouvelles d’un seul coup, Helio, n’est-ce pas ? « J’ai ce qu’il faut dans la cuisine, viens. » Doucement, elle enroule son bras autour du sien pour le guider à destination, non sans oublier de s’adresser à sa fille au passage. « Tu vas prendre ton bain en attendant Wendy ? » Histoire de gagner du temps. La gamine acquiesce et s’éclipse dans la salle de bain tandis que sa mère aide son frère à prendre place sur une chaise de la cuisine. Délicatement, elle caresse sa joue en souriant et part fouiller dans ses placards pour récupérer deux verres qu’elle dépose sur la table. Enfin, elle attrape sa bouteille de vodka dans un placard en hauteur pour l’ouvrir et en verser un peu dans chaque verre. Laissant la boisson sur la table, elle s’assoit à côté de lui. Pas trop loin. Suffisamment proche pour pouvoir le toucher en cas de besoin. Elle ne peut pas supporter de s’éloigner de lui pour le moment. Les retrouvailles sont encore bien trop fraîches. « Je me doute que tu ne t’y attendais pas. C’est pas le genre de truc qu’on devine facilement. » Même si dans leur cas, ils ne savent absolument rien l’un de l’autre. « Elle a sept ans, elle en aura huit en décembre. Je suis toute seule avec elle, avant que tu ne poses la question. » Bien sûr qu’il se demande où est le père, c’est légitime. « Elle est adorable et plutôt mature pour son âge. Je suis sûre qu’une fois la pilule avalée, tu t’entendras bien avec elle. Elle nous ressemble beaucoup, dans son caractère. » Physiquement, elle a le regard d’ébène de son père et la chevelure aussi sombre que la sienne. Cependant, elle a trop de questions en tête, Hazel. Trop d’interrogations qui réclament des réponses. Elle avale une gorgée de son verre et attrape la main de son frère dans la sienne. « Où est-ce que tu as grandi, Helio ? Comment ça s’est passé de ton côté ? » Fais-moi rêver. A-t-il eu une meilleure vie qu’elle ? Des parents aimants ? Un métier respectable ? Parce que de son côté, à Hazel, c’est loin d’être une partie de plaisir.