tu es l'enfant d'un monstre.
1992, irlande.
magne-toi gamin, sa paume claque dans ta nuque avec la délicatesse qui l'incombe. tes épaules encore frêles se crispent sur ton échine et la douleur par ses phalanges inonde chaque parcelle de ton corps. tu es l'aîné ; tu es celui qu'on n'peut pas rater. et lui, ton père, il ne te rate jamais.
tu crois que les amerlocs vont te prendre au sérieux avec cette gueule ? tes yeux secs sont tombés sur le carton que tu tiens entre tes bras trop fins. et les larmes ne coulent plus sur tes traits trop creusés. ça n'l'a jamais amadoué. au mieux, c'est l'indifférence qu'elles t'apportaient.
vous partez. vous quittez ces terres taries par le monstre et son insatiable appétit. et s'il écorche tes épaules, c'est pour que sur ton cuir se plantent les piliers de son royaume et que toujours à travers tes os s'exprime l'arrogance de ses idéaux.
je ferais mieux, que tu oses avancer en levant les rétines. tu plies les coudes, porte le carton plus haut et tu sens tes bras se déchirer. peu importe,
tu n'as pas le choix qu'il rétorque en faisant danser la clope entre ses lèvres. tu étouffes ta peur.
dans ton cou, le baiser encore brûlant de la nicotine.
tu es l'amant de la violence.
2009, la nouvelle-orléans.
la ruelle est silencieuse tout à coup. il y a cet écho qui s'éloigne, comme si la balle courrait toujours sur les murs. comme si elle s'enfuyait en quelques murmures. et il a ce corps qui ne fait plus un bruit, plus un geste. la pénombre qui englouti les fautifs et la dépouille qui semble embrasser le macadam.
papa ! aodh s'échappe de l'emprise de tes bras devenus plus forts ; il se jette sur le mort, trempe ses genoux dans le sang encore chaud. il n'y a plus de patriarche chez les irlandais.
tu t'approches du cadet au corps écrasé sur celui qui ne se lèvera plus jamais ; il a le front scellé sur les côtes inanimées. ta main emprisonne son épaule alors il se redresse. il a les joues qui brillent lorsque ses jambes le portent jusqu'à tes bras. tu le repousses, brutal,
arrête de chialer que tu lances en tournant les talons,
il détestait qu'on chiale. aodh est seul sous le lampadaire et l'allumette craque dans la nuit. tu t'envoles, le cancer entre les dents.
et tu souris. tu souris car ce soir, tu sens sur ton crâne la couronne baignée de sang.
tu es la cause de ses pleurs.
2014, lewisburg.
soudain les vagues se sont calmées. la tempête assagie et le grondement de ses pleurs a perdu de son souffle, de son ampleur. elle a levé les yeux et a semblé accepter que demain en viendrait jamais. qu'il s'apprêtait à lui arracher l'espoir de pouvoir se relever. l'espoir de n'pas crever sur ce bitume gelé. de s'étendre de carmin sur le sol souillé.
elle a levé les yeux et elle a regardé. regardé la mort au fond des canons et ancrée dans ses rétines, l'ombre de sa trahison.
ses rotules meurtries embrassent le sol dans quelques soubresauts sanglants. et elle sent le froid dans son coeur qui s'empare de son corps ; doux linceul qu'il dépose sur ses épaules comme un dernier décor. elle a levé les yeux pour qu'ils se pendent aux siens et ses lèvres se sont tordues en un supplice malsain,
au moins m'as-tu aimée ? et le silence les prend avant d'être violé par la voix de son bourreau qu'elle a pourtant désiré,
pas un seul instant. et le coup à résonné. dans son coeur comme dans son crâne brisé. une dernière fois elle est venue l'embrasser ; une caresse rouge sur sa joue qui vient s'échouer et le goût de sa mort sur ses lèvres abîmées.
tu es l'égérie de la folie.
2019, lewisburg.
puisque ce monde est le tien, puisque son contrôle te revient, tu joues avec ses pions et ordonne plus que de raison. mais ce soir, tu sens tes os brisés par la rébellion. le colosse vient de frapper, de faire saigner ton âme au fond d'ta bouche et de baigner ta langue dans cette hémoglobine que les envieux rêvent de goûter. et tu ris encore lorsque tes rétines embrassent celles de morgan ; il est le monstre que tu as voulu créer.
et il s'est acharné, encore et encore, sur ta dépouille que t'as bien voulu lui laisser. doux requiem que ta carcasse s'est mise à chanter tandis que derrière, le silencieux témoin n'avait d'cesse de pleurer, d'implorer que la mort foute le camp de la chambrée. tu l'avais oubliée, elle, douce créature aux azurs humides qui de sa présence protège vos haines d'une rixe trop risquée.
ce soir, t'aurais p't'être coassé pour la dernière fois.
tu es le bourreau de ses yeux.
2019, lewisburg.
nina, son prénom claque dans tes mâchoires et la douleur se fait plus vive. tu oses un pas, un seul. et dans un craquement de poignet, la cible a changé. c'est la tempe du cygne qui se trouve menacée du colt chargé. et toi, toi tu demandes soudainement si elle n'serait pas là, ta liberté. si sa mort n'pourrait pas faire éclater ces chaînes qu'elle t'a collé sur les poignets. celles-là même qui entravent ton invulnérabilité. si dans l'égoïsme de ta mégalomanie, il y a d'la place pour une autre vie. si les roses peuvent pousser sur tes pavés.
fais-le, vêtu de son noir, le corbeau est sur le point d's'envoler. mais t'as les ailes pétées. le corps écrasé et l'ego atrophié. t'as peur d'entendre sa cervelle sauter. t'as peur d'entendre sa réponse chanter.
et tu n'aurais plus jamais l'occasion de m'épouser, tu n'sais plus c'qui te rendrait cette liberté, celle pour qui t'a tant tué. t'as peur d'être de ceux qui ressentent. t'as peur que tout plante. t'as peur qu'aujourd'hui, ses émotions te hantent.
la balle est partie. elle s'est éprise du plâtre émietté. et nina, elle, s'est jetée dans les bras de son bourreau. furieux besoin de l'embrasser bousculé par celui de l'éventrer.
tu es l'esclave de ton reflet.
2020, lewisburg.
tu aurais du la tuer. cette fois-ci, tu n'aurais pas du jouer de supériorité. son coeur n'était pas si loin et les rides sur son front n'étaient pas si impénétrables. tu aurais du la tuer. tu aurais du annihiler ses ambitions de te dominer, ses pulsions de tout s'accaparer. hera était cette succube aux désirs de vengeance et tu aurais du le lui accorder ; le voyage pour rejoindre sa soeur morte de ta sentence.
car aujourd'hui elle est là. aujourd'hui elle se pavane dans ces rues qui n'appartiennent qu'à toi. et elle crie au et fort que le coupable, c'est toi. que dione est morte de t'avoir trop aimé, qu'elle s'est laissée happer par l'appétit que tu n'pourrais jamais rassasier. mais dione, tu le sais, elle est morte d'avoir voulu jouer aux mêmes jeux que ses aînés.
si tu es celui qui a lâché le couperet, hera, elle, est celle qui t'a donné sa nuque dévoilée.