requins-marteaux.

t'as peur de tout tu crois que tu trompes qui t'es comme un chien qu'on aurait attaché à un tronc ou qu'on aurait laissé crever sur une aire d'autoroute regarde-toi tu fais semblant t'as plus tes crocs t'as plus tes griffes tu couines à la moindre caresse tu traînes sous la pluie c'est bon c'est beau c'est bien tu finiras à la fourrière comme tous tes petits copains te crois pas au-dessus de tous les autres cabots tous les autres chiens errants-

il bataillait.
c'était la première partie du processus.
toujours commencer par batailler.

il bataillait et le filin d'équilibriste sur lequel il marchait à petit pas précautionneux semblait prêt à rouler sous la voûte de ses pieds, constamment. il se levait à l'aube. il sortait traîner sa carcasse jusqu'aux bords du lac. il avait jeté les cadavres de bouteille, même si il en restait toujours quelques uns, ronde infernale. c'était contrôlable, disait-il. il se levait à l'aube, il priait, il allait courir face à l'aurore, il s'enfermait dans le garage, il oubliait parfois de manger, il tentait à nouveau de trier les clichés qu'il avait sortis de leurs boîtes, il n'osait pas regarder en face le carton qui portait son nom abandonné dans l'entrée de la maison. il buvait une bière, juste une bière, pas grand-chose, juste de quoi se détendre. il restait assis sur le perron arrière de son plain-pied trop lisse. il fixait l'écran et les mots qui ne venaient pas. il fixait le jardin terrain aride et la piscine à moitié vide qui avait ramassé toutes les feuilles mortes de l'hiver. il saluait sans joie le voisin d'en face. peut-être avait-il encore parfois le vague ressentiment du son de ses outils qui avait fait crisser jusqu'aux os de sa cage thoracique.

il avait garé sa ford devant le home depot, il avait fixé le vide à travers le pare-brise, juste un instant. jeu dangereux. les allées s'enchaînaient comme un labyrinthe de l'amérique. des pères de famille traînant en sandales sur le béton lisse, des jeunes chargeant leurs bras de trop de bois de construction. il errait comme d'autres autour de lui, avec dans ses oreilles l'aperçu d'un salut. il fallait en arriver là pour faire ses premiers pas dans la fosse aux lions. porter des bouchons. tout étouffé dans le monde de la sciure et des odeurs de détergent.

alors peut-être qu'il a l'air presque normal, dans le monde des gens qui n'ont pas peur du moindre cri des lames. il était resté planté devant le rayon. c'était ridicule. un désert dans le crâne et pourtant des marées de pensées contraires. et l'instinct animal, de tourner la tête. un visage familier. un vacillement du masque. et enlever doucement un de ses bouchons d'oreille pour capter la fin des mots d'hunter. il ne l'avait plus revu depuis qu'il lui avait ramené sa voiture, sans rien lui dire d'autre qu'en l'abandonnant dans son allée. "fuck you, lange." pourquoi est-ce que je suis soulagé de te revoir ? un silence de quelques secondes. un regard au caddie lourd de pots de peinture et d'autres outils et ressources. "... maybe think of adding one to your goddamn grocery list." le sourire en coin était mince et bref. un souffle, un instant. ses bras s'étaient doucement renfermés sur lui-même. les croiser et doucement gratter l'arrière de son biceps. ils ne savaient pas parler. ils ne savaient pas faire. ils ne savaient rien.

on leur avait tout désappris.

qu'est-ce que tu caches pourquoi on ne veut pas pourquoi on y arrive à tout ça à la vie la vraie vieux frère pourquoi est-ce que j'ai toujours mal au coeur quand je te croise pourquoi je ne peux pas réellement t'en vouloir pourquoi je n'ai que des insultes et du silence à t'adresser alors que tu connais ma peine tu connais mon monde tu sais quel goût a l'air là-bas toi aussi-

il avait levé son majeur lentement, sans faire un réel effort, en seule réponse à hunter. et en regardant toujours dans le blanc de l'oeil le rayon d'outils électriques. des battements de coeur dans les oreilles, des piques lancées à un homme qui connaissait son visage défait. il l'avait vu chien galeux, chien battu, maigre et sale. il l'avait vu à l'agonie, et puis les yeux brillants de la folie des intoxiqués. lange dans le coin de son champ de vision, et le calme interrogateur de ses paroles. c'était étrange, comment les mots étaient blessants mais le ton semblait presque concerné. les bouchons d'oreille serrés dans son poing lié. une lente déglutition, des battements de cils dans les vapeurs. le sourire narquois avait glissé, de nouveau, un instant sur ses lèvres. un reniflement, mordre sa joue, et fermer les yeux. hunter savait appuyer sur les zones douloureuses, mais le militaire n'avait pas tort.

tu fais ça exprès tu veux juste qu'on se bouffe de nouveau qu'on finisse en larmes et en sang n'est-ce pas tu veux juste notre fin la fin des temps parce que ça t'amuse pas du tout tout ça ça t'amuses pas je le sais je le vois je te rappelle trop quelqu'un que tu connais bien je te rappelle trop le reflet dans le miroir je te rappelle trop nos absences d'espoir-

"yeah." atone. "you know at least i know how to use power tools now- like they taught me a lot of shit back there ? like- don't use a jigsaw when you try to cut through bones, it's shit." audace inattendue de ses mots morbides. il s'était replié sur la colère sourde qu'il essayait de dompter depuis des semaines. un voile sur ses prunelles céruléennes, un tremblement dans les traits. le maigre sourire s'était effacé. "i'm... trying." j'essaie de m'améliorer mais tu rends rien si simple. il semble réfléchir, un instant. ou peut-être que tout est trop vide sur son visage, justement. "i'm just trying to live the normal american life." un souffle, un murmure, trois fois rien dans l'air vicié du magasin. se détourner de hunter en saisissant une des malettes de plastique posée sur le rayonnage métallique. son coeur était tombé au fond de sa cage thoracique.

qu'est ce que je fais qu'est-ce qu'on fait ma maison n'est pas un foyer et toi tu vis dans un château hanté mais peut-être que c'est nous les fantômes depuis le début on se bat on se débat pour rester en vie mais regarde-toi regarde-nous est-ce que je ne suis pas un peu plus transparent avant dis-moi que je ne fonds pas dans l'air quand tu tends ta main vers moi dis moi qu'on est encore vivants.