shamrock on your face / hunter & dagmar

Écouteurs vissés dans les oreilles, mains enracinées sur les barres métalliques, je faisais divers exercices pour entretenir ma musculature. À regret, je n'étais pas de ces baraqués qui pouvaient réellement façonner leur corps selon leurs désirs. Pour obtenir le peu que j'avais, il me fallait user de protéines et d'exercices spécifiques. Cela m'allait car ce qui m'animait était bien au-delà du physique. Une rage brillant d'une intensité suffisamment vive pour faire la différence. Oh j'en prenais de belles en pleine face, encaissant jusqu'au sang, mais cette douleur avait le goût de kérosène pour mes cellules.

Assidue et persévérante, ces heures passées à la salle, à courir dehors ou à frapper ce good-fellow de punching-ball suspendu dans mon salon étaient motivés par plus que le simple plaisir de battre un bulldog en pleine fosse. Une manière d'extérioriser, besoin d'expiation, de recracher dans une gerbe de salive au goût de fer les démons qui me hantaient toutes ces sales fichues nuit passées seule.

On pourrait croire que cette vie faite d'horaires, plannings et rituels en tout genre était le fait d'un côté manique de ma personnalité. Mais il n'en était rien. Un indispensable, voilà tout. Un must have pour ne pas sombrer dans les ombres qui m'avaient possédées toutes ces années avant que Lonàn ne me sorte du charnier. Quelque part, c'était lui faire honneur que de m'attacher à cette santé mentale. Un leit motiv de plus sur la liste des avantages à vouloir rester en vie mais surtout debout. Une raison de plus pour vouloir me relever après chaque coup bas. Il ne le voyait pas, ou peut-être que si, sans en comprendre l'intensité, ou juste en s'en moquant complètement car après tout, il n'avait rien demandé...

Le fait est que cette vie me convenait. Autant faite de rires, de peurs, d'adrénaline et de moments plus simples. Tout n'était pas parfait, mais cela me donnait de belles journées. Et je savais en apprécier le précieux, la rareté. Toucher le fond faisait relativiser bien des choses, mais aussi apprenait à profiter du peu qui nous est accordé quand on parvient à ouvrir les yeux.

Des yeux que j'ouvris sans grande conviction, assise sur ce banc à siroter mon thermos de thé. Il était froid, désaltérant. Jamais de sucre. Une hérésie à laquelle je ne pouvais me réduire. Mon regard s'accrocha au hasard sur ce type que je ne voyais même pas. Jusqu'à ce que mes rétines ciblent une forme reconnue. À l'image de ces effets cheap de séries Netflix bon marché où un drone focus sa cible.... Un trèfle. J'eus un rire presque hébété, à rougir de celui que je portais sur ma hanche droite. Rien de bien ostentatoire, mais d'assez marquant. Quand le cadreur derrière mes nerfs optiques fit un plan plus large, je restai sur le cul.

Impossible et pourtant ?! Un silence à ne me retrouver con. Devais-je aller lui parler ? Ne m'étais-je pas planté de gars ? Un doute qui m'habita encore quelques instants avant d'être sûre. S'il ne m'avait pas reconnue, il devait se dire que j'étais une groupie en plein kiffe sur son corps mais... Je me levai, confiante et à l'allure gaillarde. « Hunter ? Sérieux ? Qu'est-ce que tu fous là ? Y aucun leprechaun ni bière dans l'coin, t'es au courant ? », lançai-je sur un ton moqueur. On ne s'était jamais vraiment croisés sans avoir au préalable deux grammes d'alcool dans le sang alors... je ne savais même pas s'il me reconnaîtrait. Je n'étais pas la plus grande des physionomistes - Ari me rattrapait bien souvent là-dessus d'ailleurs - mais si ça se trouve, Hunter était pire que moi. Surtout sans mon chapeau vert et mes bourses pleines accrochées à ma ceinture, débordant de pièces en chocolat qui se retrouvaient fondues ou jetées par terre. Une autre tête... une autre Dagmar... tout comme il était loin d'être à l'image du Hunter déluré que je connaissais.

Souvent dans mon monde quand je venais ici, je ne calculais pas les visages. Encore moins ceux que je ne croisais qu'une fois l'année... C'était étrange d'ailleurs, de reconnaître quelqu'un par un tatouage aussi banal que par un visage. Au moins, je ne m'étais pas trompée de prénom, ni même de personne. De quoi rendre fier notre vigile international du fc... il se moquait souvent de mon inaptitude à reconnaître des têtes quand j'en voyais. L'avantage : on a l'impression de redécouvrir les gens avec ce défaut !

Même si pour le coup, l'alcool et la nuit en moins, c'était presque comme si je rencontrais Hunter pour la première fois. Mais il avait un air, une attitude dans le regard, un quelque chose qui... je sais pas, ça m'avait fait tilter. Si je ne le connaîtrais pas, il me ferait peut-être même peur...

Un hochement de tête, moue faussement vexée. « Va t'faire foutre. On n'oublie pas mes froufrous verts », lançai-je d'un ton ironiquement prétentieux. C'était quand même fou de recroiser de gars ici. L'abonné absent de ces dernières années. Mais cela restait une bonne surprise. « J'ouvrirai l'œil désormais, j'ai beau fréquenter l'établissement depuis des années, je n'en ai jamais croisé », dépeignai-je tristement. « J'ai ma carte membre, une VIP ! C'est sûr qu'à me voir on ne se doute pas de mon penchant pour le sport, malheureusement. Mais être sous-estimé ça permet d'en mettre plein la vue aux néophytes », décrivis-je comme si je me prenais soudainement pour un super-héros. Sauf que ça n'avait rien d'un signe d'héroïsme... ça me faisait tellement bouillir d'être prise pour une pimprenelle née de la dernière pluie que j'en avais des envies de meurtre. Une impulsivité et une fierté mal placée que je préférai laisser sous silence. « Comment ça se fait qu'on n'se soit jamais croisés en ville ? Tu as aménagé récemment ? » vins-je m'enquérir de sa situation.

Les rencontres fortuites sont souvent les plus appréciables. De celles dont on se souvient, qui nous marquent plus que les personnes elles-mêmes. Des situations où on pouvait s'oublier, oublier ce qu'on faisait là et juste apprécier le moment présent. Ici l'ambiance était différente, plus calme, plus mesurée, plus chiante mais aussi plus ordinaire. Et il en fallait, de temps en temps, de l'ordinaire. De ces choses simples qui nous donnaient le sourire.

Je devais avoir l'air bien bête à m'émerveiller de le trouver ici... Comme une gamine qui aborde pour la première fois un crush de cour d'école. Une moue suspicieuse déplorait cette hypothèse comme quoi je faisais fuir les lutins verts qui se dissipa en un sourire amusé. De quoi contraster avec l'air préoccupé de Hunter. Ce qui m'intrigua c'était l'idée de ne jamais l'avoir vu alors qu'il vivait à Lewisburg depuis tout ce temps. De tous les patelins qui jonchaient la Nouvelle-Orléans, on était tombés dans le même, vraiment ? Les superstitieux y verraient un signe du destin !

Je l'écoutais tout en terminant mon thé, quelque peu impressionnée par le fait que Hunter était dans la Navy. Ça devait pas être la moitié d'un ! « Je suis plutôt sportive, quoi qu'on en dise. Depuis que Leigh m'a initiée aux sports de combat, c'est devenu ma drogue. Ça fait partie de moi, encore plus que jamais depuis qu'elle nous a quittée... j'ai besoin de ça pour me défouler, pour pas perdre la tête », décrivis-je en me gardant de lui vendre la mèche sur les combats clandestins auxquels je participais.

Auprès des non-initiés, je me devais de garder ça pour moi. Quand bien même ils pourraient être du genre à approuver l'idée. Non pas que je l'imaginais particulièrement violent, mais il avait cette petite étincelle... « Mais c'est aussi pour l'odeur de sueur, j'avoue... ça m'fait craquer ! » Approuvai-je d'un ton faussement sérieux. « C'est quand même fou qu'on se soient jamais croisés avant ! Pourquoi t'as quitté l'armée ? » Une curiosité réelle, car on ne quittait pas ce genre de vocation juste comme ça, sans raison intéressante. Avant de me rendre compte que la raison pouvait très bien être... mauvaise. Genre... de ces sujets qu'on ne veut pas forcément aborder avec une camarade de beuverie qu'on connait à peine. « Désolée... c'est peut-être pas le genre de truc que t'aimes étaler comme ça. En tout cas, ça peut nous donner l'occasion de nous retrouver plus souvent. Avec ou sans bière », changeai-je de sujet pour éviter de le mettre mal à l'aise.