Hell is a place on earth with you | ft. Thea #2

|	Hell is a place on earth with you ; Dante & Thea

—Il y avait des jours avec et des jours sans. Sans ce mal de crâne qui s'emparait d'elle dès le matin et la poursuivait toute la journée. Sans cette sensation de ne pas avoir fermé l'oeil de la nuit. La nuit passée elle avait fumé clope sur clope assise en tailleur sur son canapé. Contemplant la pénombre qui se retirait peu à peu des toits de la ville qui lui faisait face. Elle n'avait pas touché une seule goutte d'alcool de la soirée et pourtant ce mal de crâne s'était invité. Petit camarade qui lui rappelait sans cesse que son hygiène de vie se dégradait. A plusieurs reprises elle avait tenté de s'assommer à base de cachets aux diverses vertus. Sans succès. L'alcool avait bizarrement toujours un effet plus grisant et impactant.  Thea avait trainé ce mal de crâne toute la journée. Petit rappel constant des pensées malsaines qui envahissaient ses nuits. Pourtant malgré tout elle avait décidé après son service de faire une maraude. La jeune femme savait pourtant pertinemment qu'elle n'était pas en condition la plus adéquate. A chaque coin de rue elle croyait voir sa carrure se détacher de la foule. Elle tressaillait quand quelqu'un s'adressait à elle d'une manière trop brutale qui lui rappelait certaines des intonations de sa voix. Parfois elle se demandait même si elle n'avait pas perdu de vue la vraie raison de ses tournées nocturnes. Le faisait-elle encore pour aider les plus démunis ou était-ce devenu son nouvel alibi dans l'espoir de le croiser ? Il lui était arrivé de se surprendre à rêvasser tout en caressant la légère cicatrice au creux de sa paume, souvenir fugace de leur dernière rencontre. Rien de cela n'avait de sens. Elle se sentait tellement honteuse de s'être comportée de la sorte. De s'être laissé emportée par ses sentiments. Sentiments qu'elle ne comprenait même pas. Pourtant ce soir-là elle avait retrouvé ce goût dans sa bouche. Cette peur qui s'était emparée d'elle la dernière fois. Pourtant l'homme qui lui faisait face n'avait même pas hésité à lui asséner ce coup brutal du revers de la main. Et elle n'avait aucun couteau sous la main pour se défendre. Tout cela pour une sordide histoire de drogue. Elle n'était que médecin. Mais les méprises étaient fréquentes dans la pénombre de ces ruelles étroites. Prise de vertiges, la jeune femme avait rapidement quitté les lieux. Ce n'était pas la première fois mais cette fois-ci on ne l'avait pas raté. Son arcade sourcilière saignait et son mal de crâne avait décidé qu'il était temps de s'y remettre. Il devait être plus de trois heures du matin. Elle aurait mieux fait de rentrer s'occuper de son arcade.

Pourtant pour une obscure raison, qu'elle préférait se cacher à elle-même, elle sentit le besoin d'aller là-bas. Elle se trouvait à quelques rues seulement. Il lui suffirait de couper par les grands boulevards. Elle pourrait ensuite fumer sa dernière cigarette face  la baie. Sur son ponton. Elle était seule dans cette obscurité. Elle et son fardeau. Cette tristesse qu'elle ne retrouvait même plus en elle. Non, il n'y avait plus que de la colère. C'était pourtant cette rage qui la faisait tenir. Qui lui permettait d’enchaîner une journée entière parmi ses patients puis d'aller aider des prostituées, des mères de famille toxicomanes et des alcooliques qu'elle ramassait dans la rue. Mais quand elle se retrouvait seule dans son lit, seule dans l'obscurité, alors toute cette colère s'estompait. Elle redevenait cette jeune femme paumée qui ne comprenait même plus le sens qu'elle voulait donner à sa vie. Et cette simple pensée l'angoissait. Pourtant son fardeau revenait quand elle se retrouvait face à sa tombe. Elle lui en voulait. Elle s'en voulait. Et cet homme avait fait irruption dans sa vie. Il lui bousillait sa quiétude, devenant une présence de plus en plus pesante. Même sobre elle pensait à lui. Mais dans l'obscurité du cimetière elle le faisait revivre plus que jamais. C'était sa piqûre de rappel. Pourquoi elle devait se tenir la plus éloigné possible de lui. Elle s'apprêtait à enjamber la barrière comme elle l'avait déjà fait à de multiples reprises quand elle s'aperçut que la grille n'était pas cadenassée. Ses pas la menèrent tranquillement jusqu'à la tombe qu'elle avait payé et qu'elle venait régulièrement fleurir. Huit ans. Elle ne savait même plus vraiment ce qu'elle éprouvait. Elle n'avait jamais vraiment tourné la page. Non. Elle s'était juste laissé glisser dans une chute vertigineuse qui semblait être sans fin. Et pourtant elle revenait sans cesse ici. Pour rouvrir ses plaies. Elle avait pris l'habitude de se poser en pleine nuit, loin des regards indiscrets. Clope après clope elle s’auto-diagnostiquait. Faisant un point sur sa vie.

Il ne lui restait plus que quelques pas à faire avant d'atteindre la pierre tombale. Sa blessure à l'arcade recommençait à la piquer. Il ne fallait pas qu'elle tarde à l'examiner. Elle aurait une sale mine le lendemain, elle le savait d'avance. Les mains plongées dans son sac à main à la recherche de son paquet, elle n'avait pas fait attention à son environnement trop habituée à la quiétude de cet endroit. A cette heure elle ne rencontrait jamais personne. Mis à part quelques rats et autres animaux nocturnes peu recommandables. Elle s'attendait tout sauf à lui.

Je t'avais pourtant dit de rester loin de moi

Sous la surprise elle lâcha tout ce qu'elle tenait dans les mains, laissant une partie du contenu de son sac se déverser sur la chemin terreux du cimetière. Son cœur s'était emballé d'un coup et d'une main elle s'était empêchée de pousser un cri. Cette voix. Elle l'avait rêvé encore et encore. Malgré elle elle laissa passer un grognement de surprise à travers sa main.

Oh putain !

Incrédule elle laissa ses yeux s'habituer à la pénombre. Cette carrure qu'elle avait tant cherché dans ces ruelles et ces bars se découpait enfin dans le clair obscur. Était-ce son mal de crâne accumulé au coup qu'elle s'était pris qui la faisait halluciner ? Les bras ballants elle se sentait comme une idiote, surprise de sa propre réaction. Elle était presque soulagée de le revoir. Et furieuse d'être dérangée dans ce moment intime. Dérangée par lui. Bordel mais qu'est-ce qu'il venait faire ici ? Sur son territoire. Sur cette pierre tombale. Était-ce vraiment une coïncidence ?

Qu'est-ce que tu fous là ? Tu me suis maintenant ?  

Elle savait que cela était très peu probable, sachant qu'elle-même continuait de le pister régulièrement sans qu'il n'en sache rien. Mais elle n'avait aucune explication logique qui puisse justifier qu'il se trouvait précisément à l'endroit où elle se rendait. Comme si leurs âmes torturées s'étaient données rendez-vous.

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— Sa réponse affirmative lui cloua le bec. Avait-elle bien entendu ? Le jeune homme lui confirma sa pensée en réitérant ses dires. Presque grisée par ce qu'elle entendait elle ne pipa mot. Comment en étaient-ils arrivés là à presque inverser les rôles ? Ou alors souhaitait-il lui faire peur ? La confronter à elle-même et ses malsaines habitudes. Pouvait-il ne serait-ce que soupçonner Thea de le suivre ? Elle avait pourtant pris beaucoup de précaution et se maudissait à chaque fois qu'elle sentait qu'elle était allée trop loin. Pourtant l'idée que lui-même ait pu penser à la suivre la dérangeait. Avait-il réellement franchi cette limite ? Elle l'imaginait aisément se promener dans son propre appartement, regarder d'un air mauvais tout ce faste dont elle s'était entourée. N'était-ce pas ce que ce genre de personne faisait ? Franchir les interdits, violer l'intimité d'une personne quitte à lui piquer quelques bibelots juste pour lui faire peur ? Elle n'arrivait pas à distinguer clairement l'air que le jeune homme avait pris, ne le voyant qu'entrecoupé par la lumière que projetait la lune sur le cimetière. Sinistre endroit pour lui faire une telle révélation.

Qu'est-ce que tu fiches ici à 4h du mat'?

Surprise d'une telle question, la jeune femme ne put s'empêcher d'émettre un petit rire. Ce n'était pas moqueur loin de là. Juste un peu nerveux. Il lui demandait avec un tel naturel ce qu'elle elle faisait là. Elle. La question était assez incongrue. N'avait-il pas conscience de qui était enterré à quelques mètres de là ? Qu'elle avait expressément choisi ce cimetière pour qu'ils soient près des siens.

Sérieusement ?! Tu me demandes ce que je fais dans ce cimetière ? Si tu t'intéressais vraiment à moi tu saurais qui est enterré ici.

Répondit-elle brusquement. Ce n'était pas réellement ce qu'elle avait voulu lui dire mais les mots  lui avaient échappé. Elle ne répondait que partiellement à sa question elle le savait. Thea n'avait aucune raison logique d’être ici à cette heure-ci mais peu lui importait. Il n'y avait pas d'heure pour elle. Elle pensait être tranquille pour au moins une heure ou deux. Mais elle ne pouvait pas lui révéler qu'elle venait ici se punir. Et non plus se recueillir. S'accroupissant près du sol la jeune femme récupéra enfin son téléphone qui avait subi une chute peu recommandée. Elle tenta de récupérer au fur et à mesure le contenu de son sac éparpillé par terre.

Excuse-moi pour mon ton. J'ai eu une journée...compliquée.

Pourquoi s'était-elle excusée ? Elle n'avait pas envie qu'il parte. Qu'il prenne ses jambes à son cou. Pourtant elle se demandait encore une fois si ce genre de discussions était une bonne idée. Leur dernière conversation avait laissé de sacrées séquelles. En tout cas sur elle. La jeune femme avait laissé passé plusieurs jours avant d'oser ressortir de chez elle pour l'observer. Le suivre plutôt. Ce fut presque un soulagement. Il restait le même. Il avait repris ses habitudes comme si leur confrontation n'avait rien changé. Une question presque trop humaniste vu les circonstances lui brûlait les lèvres. Elle ne pouvait que voir son profil sous la lumière blanchâtre de la lune pourtant elle aurait voulu l'observer de plus près. Mais c'était si dangereux.

Comment va ta blessure ? Je suppose que tu te vantes auprès de tout le monde qu'une de tes bêtes t'a agressé.

Elle se mordit la lèvre inférieure. Quelle conne. Elle n'aurait jamais du laisser entendre cela. C'était tellement idiot de sa part. Il ne pouvait pas savoir qu'elle l'avait déjà observé sur son lieu de travail. Assise dans un coin sirotant une boisson fraîche. A l'époque elle pensait que ce n'était pas si risqué que cela. Comment aurait-il pu imaginer une seule seconde qu'elle pouvait se trouver à quelques mètres de lui?

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— Son agacement se faisait de plus en plus sentir. Mais dans la même dynamique la jeune femme craignait qu'il ne la laisse ici. Seule. Dans ce cimetière qui ne servait qu'à se recueillir sur son passé. Il était pourtant si désagréable. Les mots qu'il utilisait ricochaient sur elle laissant peu à peu quelques entailles de mécontentement. Une analyse plus approfondie de sa personne était nécessaire, mais dans tous les cas Thea ne comprenait pas ce qu'elle pouvait trouver d'attirant chez lui. Il représentait tout son contraire. Ses « princesses » et « petit coeur » lui semblaient tellement dégradants et méprisables. Aucun respect ne sortait de sa bouche. Comme s'il souhait l'écraser encore et encore avec tout le mépris qu'il ressentait pour elle et ce qu'elle représentait. Une femme. D'une très bonne famille. Choyée et n'ayant jamais été dans le besoin. Thea savait bien qu'il se comportait ainsi par pur affront. C'était un collectionneur de femmes. Mais pas dans son genre. Non ce genre de femmes qui ne restaient qu'une nuit. Qui essayaient de s'accrocher à lui mais finissaient par se sentir sales à force de supplier. Que cherchaient-elles vraiment auprès de lui ? Du réconfort ? De l'amour ? Theodora se demandait même si cet homme avait jamais su ce qu'était aimer quelqu'un. Tellement que cela prenait aux tripes. Que plus rien n'importait que le bonheur de l'autre quitte à s'effacer soi-même. Il parlait de sentiments avec une telle raillerie qu'il en devenait d'autant plus détestable.

Elle sut qu'elle était perdue lorsque son attitude changea. Avant même qu'elle comprit, le jeune homme fonça droit sur elle avec brusquerie. Elle l'entendit s'approcher d'elle avant que sa main attrapa avec force son épaule. Trop surprise et stupéfaite par ce changement radical de leur échange la jeune femme n'émit aucun son. La dernière fois qu'ils s'étaient tous les deux trouvés aussi proches n'avait rien donné de bon. Elle pensait encore à son souffle tout près d'elle, ses yeux remontant le long de son visage, examinant toutes les parcelles de sa peau. Une par une. Laissant cette image à jamais imprimée dans ses rétines. La situation était tout autre cette nuit. Dans la pénombre elle ne pouvait se raccrocher qu'à ses propres souvenirs. Tout était décuplé. La main qu'il avait posé sur son épaule semblait peser une tonne. Elle n'était pas amicale, elle le sentait à la pression exercée. Les quelques mots de trop. Il était loin d'être bête ce garçon. Finalement elle pouvait savourer le fait qu'il ne supporte pas lui-même l'idée d'être épié. Il la questionnait avec rudesse et précipitation. Malgré elle la jeune femme sourit. Elle le dérangeait. Pourtant avant même qu'elle put se défendre, le jeune homme opta pour l'autorité. Lui intimant de se taire à sa plus grande surprise il plaqua soudainement son doigt sur ses lèvres. Ce geste soudain et inattendu figea la jeune femme. Il venait une fois de plus franchir une limite qu'elle n'aurait permise à personne d'autre. Ce contact si intime était d'une violence qui la fit presque oublier où elle se trouvait. Il n'y avait plus qu'eux deux. Dans un endroit qui aurait pu être tout autre. Ce simple contact sur ses lèvres la brûlait. Mais c'était son corps entier qui se consumait. C'était presque douloureux. Tout se mélangeait. Elle aurait voulu coller son corps au sien. Le sentir contre elle ne serait-ce que quelques secondes. Tout aussi brûlant qu'elle. Se laisser transporter. Et le repousser le plus loin que possible d'elle. Avant qu'elle ne l'ait réalisé il avait coupé brusquement le contact entre eux. La laissant là abasourdie par l'intensité des dernières secondes qui s'étaient écoulées.

J'espère que tu n'avais rien fait tomber de précieux car j'ai probablement tout cassé.

Sa remarque était tellement anodine après ce fugace moment. Comme si tout devait reprendre sa place. La normalité devait impérativement reprendre le dessus. Elle émit un rire qui oscillait entre l'incrédulité de la situation et la nervosité qui s'emparait d'elle de nouveau. Elle savait qu'il était encore à quelques mères seulement d'elle mais c'est comme si de nouveau un trou béant s'était creusé entre eux.

Piétiner ce qui appartient aux autres ça tu sais faire...

S'accroupissant de nouveau, elle tenta de trouver quelques rescapés du massacre. Du bout des doigts elle buta contre son pied et s'excusa en marmonnant. Elle ne savait même plus ce qui était intentionnel ou non de sa part. Son téléphone à la main elle éclaira la scène de massacre. En effet. Miroir, maquillage et cigarettes s'étaient retrouvés piétinés. Mais rien de bien méchant. Tout cela n'avait aucune valeur sentimentale pour elle. La lumière de son téléphone se posa de nouveau sur le  bas de son pantalon. Il était toujours là à quelques mètres d'elle. Tellement proche mais si éloigné. Toujours accroupie elle laissa la lumière de son téléphone remonter lentement sur son corps jusqu'à sa mâchoire, laissant par délicatesse ses yeux dans la pénombre.  Pourquoi était-il toujours là ?

Toute cette situation est tellement...absurde. Le plus grotesque dans tout ça c'est que nous n'aurions jamais du nous rencontrer. Toi et moi. Mais dès que j'essaie de changer le cours de ma vie je te retrouve sur mon chemin. Encore et encore. C'est complètement insensé. Et maintenant je te croise ici, en pleine nuit, à quelques mètres de là où je l'ai enterré. Ca n'a aucun sens. Et par pitié, évite moi ton ton méprisable et condescendant et tes « princesses », ça me tape sur le système.

Laissa-t-elle tomber presque trop sincèrement en se redressant maladroitement manquant de peu de se rattraper à lui. Absurde. Grotesque. Irréel. Malhonnête aussi de sa part. Elle avait forcé le destin à plusieurs reprises. Mais ça elle préférait le taire. Sa tête lui disait de ramasser le peu qu'elle pouvait et de partir et pourtant une autre partie de son cerveau lui intimait de rester. Leurs chemins s'étaient déjà croisé trop de fois pour que ce soit de simples coïncidences. Mais à quoi s'attendait-elle finalement ?

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— Encore une fois il aurait aimé qu'elle s'abaisse devant lui. Qu'elle s'humilie en lui glissant quelques confidences. Mais le jeu était dangereux et  Thea en avait conscience. Chaque mot qui sortait de sa bouche était une arme qu'il utiliserait contre elle. Avec beaucoup de plaisir. Cette situation restait déplaisante pour la jeune femme. Comme si elle marchait sur un fil. Les conséquences de chacun de ses gestes devenaient au fur et à mesure de plus en plus lourdes à porter. Le plus simple aurait été de le planter là dans ce sinistre environnement. Ce n'était pas la première ni la dernière fois qu'elle laisserait choir quelqu'un. Mais une fois de plus ses propres contradictions la malmenaient. Que diraient ses parents et ses amis s'il voyait dans quel merdier elle s'était embarqué ? Elle n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été auparavant. Pourtant elle avait trouvé au fond d'elle-même une nouvelle férocité qu'elle n'avait jamais connu avant. Et face à lui cette férocité se faisait plus présente que jamais. Ses « princesses » continuaient de l'écorcher. Quelle jouissance elle pourrait ressentir si elle arrivait à l'écraser à son tour, à le piétiner. A lui décrocher une émotion autre que sa raillerie. Elle imaginait facilement son petit sourire narquois sur son visage de mauvais garçon. Mais le regard qu'il lançait sur elle à chaque fois que son regard avait pu rencontrer le sien n'avait rien de tendre. Elle n'avait pu encore le voir mais elle se l'imaginait aisément. Ce sourire moqueur elle aurait aimé le faire disparaître. Mais d'un autre côté son regard mauvais n'augurait rien de bon.

Il lâcha un nouveau princesse en riant. Il jouait réellement avec ses nerfs. Tout cela la fatiguait. Pourtant encore une fois il s'approcha lourdement d'elle et la rattrapa par le coude avant même qu'elle ait pu se dégager. Elle devait bien lui concéder une chose. Il était extrêmement tactile. Elle ne comprenait pas pourquoi elle le laissait faire à chaque fois. Ses forces semblaient l'abandonner à chaque fois qu'elle sentait sa main se poser sur elle. Cherchait-elle à garder en mémoire ces contacts ? Ou savait-elle qu'il ne servait à rien de se battre contre lui ? La dernière fois elle avait bien failli lui faire plus qu'une méchante entaille. Pourtant quand il prononça son prénom elle se sentit de nouveau se fissurer. Il avait prononcé son prénom. Son prénom complet. Immortalisant à jamais ce lien qui les unissait. Elle n'était pas juste « princesse » ou « Mademoiselle Hamilton » mais bien « Theodora » . Pourtant elle même n'avait jamais osé prononcer son prénom. Comme si cela la maudirait à jamais. Elle tenta de se dégager presque lâchement, ne souhaitant pas qu'il sente les frissons qui la parcourait. Pourquoi la tenait-il ? Avait-il peur qu'elle lui échappe ?

Poursuivant son jeu malsain le jeune homme les éclaira. Il paraissait encore plus proche qu'elle ne l'aurait cru. Il prenait un malin plaisir à la torturer en rognant petit à petit la distance qu'il y avait entre eux. Il avait toujours ce fameux sourire narquois affiché sur son visage. Pourtant les mots qu'il martela furent plus durs à entendre por elle qu'elle ne l'aurait cru. Comme s'il lisait en elle, il mettait enfin sur la table tout le problème. C'était elle le problème. Elle le savait depuis le début mais se le cachait. C'était elle qui le poursuivait depuis des années. Comme une âme en peine qui cherche une réponse là où elle ne trouverait que du malheur. Elle l'avait confronté. Suivi. Provoqué. Il était devenu son obsession et sans vraiment le réaliser il avait pris une place tellement importante dans sa vie qu'elle ne pouvait le chasser aisément aujourd'hui. Mais tout cela n'était que éphémère. D'autant plus que ce n'était pas réciproque. Elle n'était qu'une idiote. Prise au piège de ses propres fantasmes qu'elle n'assumait pas.

Tu as raison.

Elle marqua une pause et laissa ses yeux remonter sur lui, avant de se plonger quelques instants  dans ses prunelles. Ca ne servait à rien de lui mentir mais elle ne lui ferait pas le plaisir de se mettre plus bas que terre. Il n'avait pas besoin de savoir ce qu'elle avait dans sa tête. Elle refusait de se laisser s’avilir de la sorte. Il lui rirait au nez. Ce serait pire que tout. Elle sentit alors le besoin de faire quelque chose de complètement déraisonnable. Qu'elle regretterait de suite elle le savait. Mais les dés étaient déjà jetés. Elle fit un pas de plus vers lui. Elle était si près de lui. Si proche de son propre danger. Elle sentait son bras toucher le sien et ce simple contact l'électrifia de nouveau lui donnant un regain de détermination dans sa folie. Elle l'examina quelques secondes, un sourire insolent sur son propre visage. Elle se serait giflée elle-même à cet instant.  

Mais tu sais quoi ? Je crois que quoi que je dis-je de toute façon ma réponse ne te plaira pas. Car il n'y a rien de rationnel à tout cela.

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— Troublée par sa propre attitude la jeune femme se savait au bord de la falaise. Elle n’avait jamais éprouvé ce sentiment de fragilité avant. Tout pouvait basculer à la seconde même où elle décidait de faire un pas de plus. La limite qui existait entre elle et Dante avait été grignotée au fur et à mesure des leurs échanges ne laissant entre eux que leurs âmes nues qui se faisaient face. Cette limite si infime qui délimitait ce qui était possible et ce qui restait interdit. Le pas qu’elle avait fait l’avait mise en danger. Personnellement. Elle se soumettait à sa merci. C’était si évident. Pourtant ce pas elle l’avait fait avec sa propre volonté. Comme si elle se testait elle-même. Et lui au passage. Elle sentait chaque frisson qui parcourait son corps. Elle sentait son souffle en haut de son crâne. Il pensait avoir gagné la partie. Elle pouvait le sentir à sa façon de s’imposer face à elle. Il la dominait par sa présence. Cet homme aimait se sentir en contrôle. Mais elle ne se laisserait pas écraser. Pourtant. Oui pourtant. Pourtant tout cet homme, tout ce qui se dégageait de lui l’attirait. Même ce qui était le plus désagréable. Ce qui la mettait en rogne. C’était bien au-delà d’une simple attirance physique ou sexuelle. Non ce n’était même pas explicable. Toute relation entre eux était vouée à l’échec. Personne ne pourrait le nier. Mais à l’instant présent elle ne pouvait se détacher de ce sentiment qui lui collait à la peau qu’elle souhait qu’ils restent ainsi une éternité. Sans rien dire. Juste s’écouter dans ce silence glacial. Il la questionnait encore et toujours. Comblant ce silence qui semblait lui faire peur. Comprendre coûte que coûte ce qui n’avait aucune explication. Borné, il en redemandait.  
Mais lorsqu’à son tour il grignota les quelques centimètres qui lui servaient de bouclier, la jeune femme sut qu’ils avaient scellé quelque chose de secret entre eux. Ce n’était pas qu’un jeu. Elle le sut au ton de ses derniers mot et à la pression qu’exerça sa main sur sa nuque nue. Thea ferma les yeux au moment où son pouce caressa sa joue. C’était si douloureux et pourtant n’était-ce pas ce qu’elle avait voulu en s’approchant de lui ? Ce contact presque doux. Elle en avait rêvé éveillée à de nombreuses reprises. Il s'était enfin tu. Laissant la nuit tomber sur leurs corps. Comme s’il s’était perdu dans les méandres de ses propres pensées. Loin d’elle ou trop proche d’elle. Sa main était pourtant toujours là sur sa nuque. La jeune femme se mordit la lèvre inférieure en levant les yeux vers son visage caché par la pénombre de la nuit. Ses narines s’emplissaient de son odeur. L’arête de son nez s’accrocha à sa barbe naissante sur la joue du jeune homme quand elle leva la tête vers lui. Elle était si proche. Elle sentait les pulsations de son artère marteler l’avant-bras du jeune homme. Son cœur la trahissait. Ses propres lèvres n’étaient plus qu’à quelques centimètres des siennes. Elle aurait voulu s’en emparer mais quelque chose la retenait. Que resterait-il d’eux après ce baiser ? Deux âmes en peine qui s’auto-détruiraient. Pourtant elle avait envie de savoir quel goût elles avaient. Nicotine mélangée à une dose d’alcool. Du bout des doigts elle glissa sa main dans la chevelure courte du jeune homme laissant le bout de son nez glisser le long de sa joue, s’approchant de son oreille.

Toi et moi c’est interdit. Pourtant si tu savais…

Elle laissa en suspens ses propres pensées sur ces quelques mots. Si seulement il savait ce qu’elle rêvait de faire en ce moment précis. Peu lui importait l’endroit où il se trouvait. Elle aurait aimé le conquérir presqu’avec violence. Pourtant elle recula son visage de quelques centimètres du sien, sentant toujours sa main sur sa nuque la maintenir à une distance proche. Elle avait le regard brillant. Son coeur battait trop fort et elle se sentait fiévreuse. C'est ce qu'il voulait justement. Qu'elle soit sienne là maintenant. Elle ne lui ferait pas ce plaisir. Elle s’interdisait de se rabaisser devant lui. Il ne ferait qu’une bouchée d’elle. Puis il la laisserait là. A se morfondre. Encore plus brisée qu’avant. Elle ne le laisserait pas gagner la partie.

Mais je ne serai jamais sur ton tableau de chasse. Oh non…

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— Ce qui se dégageait de leurs échanges lui semblait quasi irréel. Trop intense. Comme si l'ivresse s'était déjà emparée d'elle et que son sang mélangé à l'alcool ralentissait le temps. Il n'y avait qu'eux deux. Incapable de détacher son regard de lui, la jeune femme buvait chacune de ses paroles. S’imprégnant des inflexions de sa voix, de la tension qui montait de nouveau d'un cran et du nouveau jeu qui se profilait. Le chat et la souris. Il renversait de nouveau la table et rabattait de nouvelles cartes. Il était fort. Oui très fort. Mauvaise au bluff elle risquait de se brûler plus que les ailes. La jeune femme n'avait pas su avoir le dessus. Ou alors elle avait cru naïvement qu'elle pourrait le contrer quoi qu'il arrive mais il marquait des points au fur et à mesure. Elle sentait à son ton qu'elle l'avait harponné. Droit au cœur. Ou plutôt dans ses tripes. Il avait envie de jouer une nouvelle bataille, mais lui non plus ne semblait pas savoir quelle finalité il souhait. Y en avait-il réellement une meilleure que l'autre ? Au fur et à mesure il la provoquait. Lui, Dante, le grand séducteur se voyait confier un nouveau challenge. N'était-elle pas à ses yeux qu'une pauvre brebis égarée ? Il pensait n'en faire qu'une bouchée. Mais n'était-ce pas déjà le cas ? La jeune femme continuait de ressentir des émotions contraires avec violence. Tout son corps souhaitait goûter à ce mystère qui se présentait à elle. Ses lèvres brûlaient d'envie de s'emparer des siennes. Son corps souhaitait épouser le sien. Se coller peau à peau avec force. Mais au fond d'elle-même une autre force rugissait lui hurlant que c'était la pire idée de toute sa vie. Qu'elle ne le supporterait pas. Qu'il la tuerait petit à petit. Il la consumerait vivante. Comment pouvait-elle se renier à ce point ? Il n'était rien. Juste un petit dealer qui se donnait un genre de grand. Elle l'avait assez observé pour savoir quelle vie il menait. Il n'avait rien à voir avec elle. Rien. Et tout cela n'était qu'un jeu pour lui.  Elle avait pris de gros risques en s'approchant de trop près de lui. Pourtant elle sentait encore son coeur céder en sentant ses yeux la dévorer. C'était une sensation si grisante et enivrante et pourtant elle n'annonçait rien de bon.

Son arrogance était de retour et l'agacement prit le dessus dans les émotions que ressentaient Thea. Elle était restée muette comme une carpe. Trop captivée par ce qu'elle entendait et ressentait. Mais son instinct de survie et de révolte souhaitait reprendre le dessus. Cela la démangeait. Comme quand on éclate un ballon. La réalité lui revint dans la figure avec une sacrée violence. Il semblait tellement mais tellement convaincu de lui. Du pouvoir qu'il avait sur elle. Elle n'avait jamais été une très bonne dragueuse. Toute sa vie on l'avait courtisé. Lui promettant monts et merveilles pour la faire céder. Pourtant elle-même n'avait jamais poursuivi une proie, obtenant ce qu'elle voulait d'un claquement de doigt. Elle ne pouvait comprendre réellement l'excitation qui s'était emparée de Dante. Pourtant elle s'en était approché à chaque fois qu'elle le suivait de loin. Cherchant à s’immiscer sans le vouloir dans sa vie, suivant ses pas. Mais toute la splendeur de Dante venait de son arrogance et de sa persévérance. Elle aurait pu le gifler à ce moment précis.

Tu es le mal incarné Dante Silva.

Laissa-t-elle tomber d'une voix basse. Elle retira d'un geste lent sa main d'entre ses doigts, rompant le contact avec ses lèvres. Elle le regrettait déjà. Mais elle devait réussir à s'en sortir. A se dépatouiller avec elle-même et sortir de sa propre transe. C'était comme si à chaque contact qu'il avait avec elle il l’ensorcelait un peu plus.

Et sacrément gonflé !

Rajouta-t-elle en se dégageant de lui. Son ton était presque moqueur. Elle appréciait cette intimité qu'elle avait ressenti avec lui et ne voulait pas tout rompre aussi brutalement. Il lui intimait presque l'ordre de s'enfuir en la provoquant ainsi. La fatigue l'envahit de nouveau, tout son corps lui rappelant qu'elle n'avait pas fermé l'oeil depuis plus de vingt heures. Sa prochaine garde commençait dans moins de quatre heures. Mais elle devait finir de mener ce combat. Car c'était ce qui ressemblait le plus dans sa tête à un combat.

Tu ne me connais pas. Tu ne sais pas qui je suis. Et pourtant tu es tellement sur de toi que tu sais que je vais céder. Tellement sur que je ne peux te résister. Mais tu te trompes. Et rien ne me retient ici.

Elle et sa fichue manie de faire tout le contraire de ce que les gens souhaitaient d'elle. C'était plus fort qu'elle mais elle ne le laisserait pas gagner aussi facilement. Pourtant c'était presque déchirant pour elle car elle souhaitait au fond d'elle-même rester encore des heures face à lui. Juste pour continuer de ressentir cette tension. Leur énergie qui se mélangeaient. Deux astres contraires qui s'affrontaient. Mais elle préférait rompre ce contact que tomber et ne plus jamais pouvoir se relever. Elle leva une dernière fois ses grands yeux sur son visage. C'était plus douloureux que prévu. Cela devait urgent qu'elle foute le camp. Les secondes qui s'éternisaient lui semblaient mortelles. Dans un ultime effort elle s'arracha à sa contemplation et jeta un coup d'oeil aux vestiges du contenu de son sac avant d'éteindre la lumière de son téléphone et rompre ainsi définitivement ce moment d'intimité, frôlant de l'épaule le jeune homme avant de reprendre son chemin sans jeter un œil à la tombe de Matthew. Pourtant initialement c'était le but de sa venue. Mais encore une fois Dante c'était mis sur son chemin et avait dévié toute son attention. S'imposant dans sa vie définitivement. Elle était fichue. Elle le savait.