(arish) recognition

Ce soir tu sortais mais ce n’était pas pour le plaisir, pas vraiment. Le décor était planté : le Red Lion, le casino du coin, point incontournable et endroit approprié pour extorquer des contrats et des gros chèques à tes clients les plus prestigieux. Les protagonistes étaient en place : toi dans ton fourreau de velours noir, regard charbonneux soulignant tes yeux clairs, pochettes et accessoires hors de prix parsemés sur ton corps ; ton client, bon chic bon genre dans son costume Armani. Ce soir, tu espères signer un gros contrat, tu espères faire une grosse vente mais pour cela, tu as besoin de mettre ton client dans de bonnes dispositions et de lui donner envie d’investir dans la ville de Lewisburg.

Vous vous installez à une table en discutant, si bien que tu tardes à te rendre compte à quelle table vous êtes. Ni qui s’occupe de vous. Tu clignes des yeux, une fois, deux fois. Tu connais ce visage, ces cheveux, ces yeux. Ailish n’a que peu changé depuis que vous avez quitté le lycée. Et de mémoire, ce n’était pas l’entente cordiale, encore moins l’amour fou. Mais tu gardes une poker face. Ça allait très utile dans un casino. Tu reportes ton attention sur la roulette, encourageant ton client, le conseillant. Tu étais souvent venue dans ces lieux avec ton père. Tu avais une petite idée de ce dont tu parlais. Et pourtant, tu ne t’attendais à ce qui allait venir. « Tu peux t’asseoir sur mes genoux si tu veux, bébé. Tu pourrais souffler sur mes dés aussi » Pardon ? Tu jettes un regard en biais à l’homme à ta droite. Il te couve d’un regard dégoulinant, impossible de manquer le message. Ton regard se fait polaire mais tu ne dis rien. Mieux vaut reporter ton attention sur la table et ton invité. Mais voilà que le relou insiste. Il t’assène un claque bien senti sur les fesses et cette fois tu réagis. Tu le gifles.
« Non mais quel genre de porc est-ce que vous êtes ?! »

Une soirée comme une autre, à veiller au grain, les yeux sur les jeux du casino. A sourire, bien paraître, surveiller l’air de rien. Les yeux furètent, ne perdent pas une miette du spectacle, identifie chaque risque pris, chaque gain empoché. Les visages fluctuent, défilent avec le temps qui passent. Certains habitués reviennent souvent, t’offrent des sourires, charmés par les tiens. D’autres se font plus grinçants, t’assènent des regards lourds, à toi qui contrôles le jeu et leur vole leur argent. C’est si facile de t’accuser toi, alors qu’ils sont responsables de leurs actes. Comme toujours, tu te fais impassible, conserve ton calme et mène ton petit monde, les doigts habiles et le regard alerte.

Tu ne rates aucun visage, parce que chaque personne a son importance dans les jeux. Il faut savoir à quel genre de joueurs on a affaire, pour mener la partie correctement. Alors quand une petite blonde se manifeste au côté d’un homme, tu la repères de suite, avec cette impression de familiarité dérangeante. Incapable de mettre le doigt sur ce qui cloche, tu balais l’assemblée du regard, reportes ton attention ailleurs. T’aurais aimé mettre un nom sur ce joli minois et, quoique tu puisses dire, ça te fatigue de ne garder que du flou. C’est évident que tu la connais.

La tournure que prend les événements te surprend, te prend de cours alors même que t’allais lancer la roulette. Ton sourire se perd, ton regard se fait plus incisif lorsque tu observes la scène, darde un regard noir sur l’homme. Ce n’est pas la première fois que tu gères ce genre d’accident, les esprits ont la fâcheuse tendance à s’enflammer en ces lieux. Et tu les côtoies assez, ce genre d’hommes, pour savoir à quoi tu as affaire. « Veuillez-vous calmer. Tous les deux. » Le ton n’admet aucune contestation, alors qu’un vigile s’avance, visiblement attiré par le grabuge. « Un problème ? » Véritable douche, il en impose plus que toi, de part sa carrure et sa voix menaçante. Tu n’as aucune pitié à résumer en quelques mots les faits et de pointer du doigt ledit porc. Ce n’est pas à toi de ta placer comme figure d’autorité, tu cèdes la main sans discuter à ton collègue. « Monsieur, veuillez me suivre. Et miss, calmez vous.» Tu ne sais jamais trop sur quel pied danser. Si cela ne tenait qu’à toi, il serait mis à la rue, face à la porte du casino claquer devant ton nez. Mais – c’est malheureux, mais vrai – il sera sûrement seulement déplacé à une autre table. Jusqu’à récidive.

Au temps pour la soirée tranquille et tes illusions de projets auréolés de gloire. Tu étais capable de faire preuve de patience en temps normal. Mais ce sale type venait d’appuyer sur tous tes boutons. Il avait tapé pile là où il ne fallait pas. Il n’y a rien que tu ne supportais moins que ce genre de comportement. Fucking piece of shit. Il se croyait beau dans son smoking hors de prix mais il puait la vinasse, tu pouvais le sentir d’ici. La vinasse et une véritable croyance que tout lui était dû suintait de lui et de ses yeux porcins. Tu mourrais d’envie de lui faire manger ses dents mais tu avais fait preuve d’assez d’impulsivité comme ça. Tu aurais déjà bien assez de mal à rattraper les dégâts causés. « Veuillez-vous calmer. Tous les deux. » Tu jettes un regard peu amène à la brune qui se tient de l’autre côté de la table. Sérieusement ? Comme si c’était ta faute et que ta réaction était illégitime ! Mais tu pinces les lèvres pour t’empêcher de te répandre en commentaires bien sentis. Qui avait dit que tu n’avais aucune retenue ? Voilà qu’un gorille se pointe. Ha bah il était temps. Ailish lui explique la situation et l’autre blaireau s’indigne. « Mais c’est elle, cette allumeuse qui tortille du cul sous mon nez ! » Que Dieu te vienne en aide, tu allais te le faire. Mais le molosse a déjà refermé sa grosse main sur l’épaule du malotru. Et il t’adresse un avertissement. A toi. Non mais c’est une blague. « Vous êtes sérieux, là ? On vous explique que je viens de me faire agresser sexuellement et non seulement vous essayez de me remonter les bretelles mais en plus vous me donnez du Miss ? C’est comme ça qu’on traite les clients ici ? » T’avais besoin de t’allumer une clope. Et de la leur écraser entre les deux yeux. A tous les deux. Ah les hommes je vous jure. Tu te tournes vers ton client en te massant le front. Il valait mieux que tu gères ce problème-là avant de faire une bêtise. « C’est une ville intéressante, les accointances y sont… particulières. » Et merde. « Ces hommes ne sont bien évidemment pas un échantillon représentatif de la population de la ville. Je vous propose de vous emmener déjeuner demain midi. Qu’en dites-vous ? » Tu lui offres ton meilleur sourire commercial alors que l’affaire est entendue et qu’il s’éloigne après une poignée de main. Tu te retournes face à aux autres, la mine sinistre. Tu n’es pas contente. Pas contente du tout.

La scène tire vite vers le mélodrame. Aucun des partis ne semble décidés à lâcher l’affaires, ils préfèrent plutôt surenchérir, tous crocs dehors. Derrière ta table de jeu, tu prends garde à te faire toute petite, surtout, laisse le vigile s’en sortir. Ce n’est pas ton rôle, alors tu restes à ta place, même si l’envie de dégager de toi-même ce sale type te démange. T’es pas là pour ça, toi, non, alors tu restes à ta place, et c’est bien les seules fois où tu sais le faire. Y’a pas grand-chose qui transparait dans tes gestes, lorsque tu reprends la partie en évitant sciemment le regard de la jeune femme, les yeux braqués sur la roulette et les jetons, les autres visages et les murmures. Tu ne veux pas d’esclandre, pas au sein même du casino, ils en ont déjà assez fait. Son visage te tourne assez dans la tête comme ça, et quand tu finis enfin par remettre où tu l’as croisé – sur les bancs de l’école – trop tard pour engager la conversation.

Les jeux reprennent leur cours, l’incident est oublié, du moins pour la plupart des participants. Les gens s’esquivent ou réapparaissent, le casino bruit de cette vie que tu connais trop bien. Et quand tu finis par la chercher du regard, elle n’est plus là. Est-ce du soulagement, ou une pointe de culpabilité qui se forme au coin de ton cœur ? Lorsque vient ta pause, tu t’échappes sans demander ton reste, parcours un instant la salle en espérant la trouver quelque part. C’est vers l’entrée que tu l’aperçois, et tu te fonds dans ses pas, trouve le chaos de la rue après avoir vérifié ta montre. T’as bien le temps d’un brin de causette avant de repartir au front. La blondinette se pose dans un coin, et tu te diriges vers elle, sort ton paquet de cigarettes avec un sourire avenant – et surtout bien désolé. « Une clope pour me faire pardonner ? » T’en coinces une entre tes lèvres et tends le paquet à ton vis-à-vis. « Désolée pour tout à l’heure. Un fumier, c’type. Mais voilà, j’peux pas trop dire, c’est mon boulot. » C’est vrai que tu pourrais sûrement t’autoriser plus d’écarts que les autres croupiers, mais t’oses jamais trop abuser de tes liens avec le gérant des lieux, t’as toujours trop peiné à te fondre dans la masse pour rejeter ainsi tous ces efforts. Un claquement de briquet plus tard, t’exhales ta fumée mortifère dans l’air, la respiration trop calme soudain, une fois dehors, loin de l’ambiance survoltée de l’intérieur. « Excuse-moi, mais… on était ensemble en classe, non ? » T’en es sûre, même, mais tu ne remets pas son prénom et faut te l’avouer que t’en as un peu honte. Peut-être qu’elle s’en souvient elle, va savoir. Mais quoi qu’il en soit, elle, elle a l’avantage du badge épinglé à ta poitrine pour ne pas paraitre trop bête.

Ton client est évacué par tes soins vers la sortie, à grand renfort de sourire et de compliments. Une fois qu’il a eu disparu dans la nuit, tu as pu abandonner le masque. Tu avais décoléré. Un peu. Suffisamment pour ne pas essayer de retrouver la trace de ce sale type pour lui botter le cul ou bien de ce vigile pour lui parler dans le bec. Mais ça n’en valait pas la peine, tu en avais conscience. Tu donnerais n’importe quoi pour une clope. Mais tu n’avais pas jugé bon d’en emmener avec toi, certaine que tu n’aurais pas besoin du réconfort de la nicotine dans les veines. Tu avais été confiante à propos de ce soir. Grossière erreur. « Une clope pour me faire pardonner ? » Tu te tournes vers la voix qui vient de t’interpeler. C’est Ailish, franchement débauchée. Tu la fixes quelques secondes, interdite, te demandant si elle se moquait de toi, si c’était un piège ou si c’était sincère. Mais pour être honnête, t’avais trop besoin d’une bière pour dire non alors tu pris le risque. Tu la remercias, t’emparas de la clope et la porta à tes lèvres. Tu l’allumes, inspires. Ca allait tout de suite mieux. Tu reportas alors ton attention sur elle, avec plus d’attention. « Désolée pour tout à l’heure. Un fumier, c’type. Mais voilà, j’peux pas trop dire, c’est mon boulot. » « Y’a pas de mal. » Un bras croisé sur le ventre, tu te demandes ce qu’il est en train de se passer. Vous étiez loin d’être les meilleures amies du monde au lycée. Tu en avais gardé un souvenir épouvantable. Et pourtant, en cet instant, elle se comportait comme si de rien n’était. Est-ce qu’elle avait oublié qui tu étais ? Possible. « Excuse-moi, mais… on était ensemble en classe, non ? » Ah. Nous y voilà, un fin sourire étire tes lèvres, ironique bien entendu. « Ouais, pendant un bon moment même. On était pas vraiment les meilleures amies du monde. » Tu tires à nouveau sur ta clope avant d’expirer. Tu n’étais pas d’humeur à lui faire payer ces années d’animosité. Pas après qu’elle t’avait offert la clope qui te permettait de ne pas péter les plombs. C’était un peu comme fumer le calumet de la paix non ? « Quelle merde, les années lycée, sérieux. »

Dans la pénombre de la rue, entre les néons du casino et les flaques dorées des réverbères, t’en oublierais que t’es censée bosser et que t’as pas toute la soirée pour lui taper la causette, à c’te jolie blonde. Qu’a l’air bien contente que tu lui files une clope, visiblement encore sur les nerfs. Et tu la comprends, lui concède ce privilège sans rechigner. Qui pourrait lui en vouloir ? Sûrement pas toi. Mais elle semble bien moins remontée que tout à l’heure, visiblement un peu calmée. La tension est redescendue, et avec elle le ton de ses propos. Mais bien vite, elle repart à l’attaque, lui souffle au visage les tourments d’une autre vie, de quand elles étaient encore rassemblées sur les bancs de l’école, devant un tableau blanc, blanc à en faire mal aux yeux. T’avais jamais aimé ça, faut dire, trop vite déconcentrée par les frasques de Mike et les regards lointains d’Andy. Le système scolaire ne t’a pas beaucoup plu, t’as préféré oublier, hausser les épaules à son évocation, ne garder que les quelques bons côtés. Pas que les études te déplaisent, t’as la curiosité au fond de l’âme, cette soif folle d’apprendre. Mais pas de cette façon.

Et cette fille, t’en gardes pas un souvenir distinct. Un visage de plus qui se perd dans la masse des élèves. Pourtant, tu fais l’effort de chercher, pas prête à lâcher l’affaire, et tu restes un moment silencieuse en re retournant le cerveau pour te souvenir. « Ari ! » C’est une victoire qui file entre tes lèvres, gravit ton visage pour former un sourire. « Putain, désolée, j’t’avoue que j’ai un peu tout zappé de ma scolarité, y’a pas grand-chose qu’est resté. » Tentative d’excuse comme une autre. Pourtant, on n’devrait pas t’en vouloir, il y a tellement de gens, y’en a toujours eu beaucoup trop autour de toi. L’école te fait l’effet d’un bain à remous, rien de distinct n’en ressort vraiment. « M’enfin bon, hein, on était tous un peu con à l’époque. Bon et on l’est sûrement encore. » T’as l’audace de sourire, de ne surtout pas te démonter. Comme tout un chacun, t’as peut-être pas eu les actes les plus honorables à l’encontre de tes comparses et Ari a fait les frais de ta capacité à suivre le mouvement, et ce besoin terrible de faire partie d’un groupe, de cesser d’être rejetée. « J’vais pas m’excuser, hein, de toute façon c’est trop tard. Hum, fin bon, c’était des conneries d’ados quoi. » T’essaies quand même de te dédouaner, malgré tout. Les temps changent, comme les gens. Aujourd’hui, tu n’es pas sûre de refaire les mêmes choix qu’autrefois. Mais c’est trop tard pour s’en mordre les doigts, désormais. « Tu fais quoi maintenant ? » La curiosité sur le bout de la langue, t’oublies pas de questionner, toi, jamais. Et mine de rien, ça t’intéresse, de voir comment les gens évoluent, alors que toi, il te semble que t’as jamais bien bougé, que t’es restée cette éternelle adolescente bien à l’abri sous l’aile protectrice de ses frères. Il ne fait pas de doute que, elle au moins, elle s’est envolée un peu plus loin du nid que toi.

« Ari ! » Ah, ça y est. L’amnésique retrouve la mémoire. Loué soit le Seigneur. Tu évacues ses excuses d’un geste de la main. Tu t’en fiches un peu pour être honnête. Visiblement, c’était bien important pour elle, preuve s’il s’en fallait qu’elle n’avait rien de particulier contre toi. Malgré toi, ses pertes de mémoire te font penser à son frère Lonàn et tu réprimes un sourire. Loni à la mémoire à trous à cause de ses fréquents abus de substances illicites. Puis soudain une idée te heurte : il n’aimerait sûrement pas que tu vendes la mèche concernant le fc. Non, il n’aimerait vraiment pas ça du tout alors tu ferais mieux d’être assez prudente dans ce que tu révèlerais ou non à la jeune McGrath au cours de cette soirée. Oh oui, sinon Loni aurait ta peau et tu savais à quel point il pouvait être vicieux. « Je sais pas si je dois m’estimer amusée ou insultée que tu supposes que j’étais conne alors et que je n’ai probablement pas changé. Charmant. » Tu tires une nouvelle taffe mais t’es pas offusquée pour un sous, comme le dénote ton léger sourire en coin. Sans doute les effets purificateurs de la nicotine sur ton organisme. Déjà envolés les problèmes, le gros client et les hommes aux manières douteuses et dégueulasses. Ce que tu fais maintenant ? Excellente question. Une question que tu t’étais posée plus d’un matin si tu devais être absolument honnête. « J’ai une agence immobilière. J’étais là avec un client ce soir à qui j’espère faire acquérir un immeuble ou deux dans le coin. Et toi ? » Tu ne savais pas si elle faisait ce job à plein temps, si elle avait des projets ou si elle faisait quelque chose à côté. Tu n’avais jamais posé la question à Loni parce que, jusqu’ici, tu ne t’étais pas franchement intéressée à la vie de ta sœur. Et tu t’étais bien gardée de dire de quelle façon tu gagnais également ta vie grâce au fc. Mais la première règle du fightclub c’est qu’on ne parle pas du fightclub. Et surtout pas à la sœur de Lonàn.

Elle n’a jamais eu sa langue dans sa poche, Ari, et c’est bien ce qu’il lui a causé des problèmes, à trop détonner, ne jamais être comme les autres, toujours dans la marge, à observer de loin. Un peu plus et tu t’en voudrais d’avoir été aussi maladroite, mais son p’tit sourire, ce jeu de regard te rassure : elle n’a pas pris la mouche, pas si susceptible que ça, quoi qu’on en dise. Le mordant sur le bout de la langue, prête à envoyer bouler le monde, mais pas à te mettre au sol pour autant. Preuve que vous avez grandie. Elle aurait pu t’en vouloir pour tes conneries d’adolescentes, décidée à t’foutre la misère et à te rabaisser plus bas que terre. Encore que, t’as jamais été la pire. Mais elle préfère s’en amuser, l’œil joueur. « J’ai toujours été super douée pour être charmante, ça se voit nan ? » Tu lui offres un grand sourire en battant des cils, le genre de truc qu’on s’attend à voir de la part d’une midinette, ce que tu imagines sous la définition de charmant. Pas toi quoi. T’as jamais su faire, te montrer douce et complaisante, t’as cette franchise qui te colle aux lèvres, que t’as toujours du mal à apaiser au travail. Un peu trop directe pour ton bien, ouais.

En quelques mot, elle sait t’en mettre plein les yeux, te faire un peu trop rêver. J’ai une agence immobilière. Elle a sa propre entreprise, bosse pour elle-même, a gagné son indépendance à force de travail acharné. Et toi, Ailish, hein, qu’est-ce que tu as fait depuis toutes ces années ? Tu caches ta honte et ton embarras dans un nuage de fumée, reprends une bouffée d’air vicié. « Hum, j’imagine qu’on a pas fait bonne impression à ton client ? » Et c’est pas peut dire. C’aurait été toi, t’aurais pris tes clics et tes claques après pareille scène. A voir avec quel genre d’homme elle traitait. « J’espère que ça se passera quand même bien ta vente. » Des souhaits qui ne changeront rien, tout comme ses excuses. Mais t’auras au moins montré ton soutien, aussi inutile soit-il. Pour toi, il ne fait aucun doute qu’Ari a bien agi. Et tu préférerais te concentrer sur elle plutôt que d’avouer ta propre défaite. « Pas grand-chose moi, j’risque de te décevoir. » Comment lui expliquer le réel besoin qu’elle a de se sentir au plus proche du cœur de sa famille, cette nécessité d’observer chacun de leur pas pour mieux les suivre ? « J’bosse pour mon frère au casino. » Rien de bien reluisant, mais elle a au moins la certitude d’en louper le moins possible, de n’être jamais loin. « Voilà. » Un haussement d’épaules pour mieux faire passer la pilule, après une bouffée de fumée expirée vers le ciel. Tu sens encore entre vous les spectres de vos adolescences, de la revanche que prend finalement le destin. Que doit-elle penser ?