(ari) sorry seems to be the hardest word

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Dans un sens, tu es du coin sans l'être. Ton père, c'était ce petit français sur les traces de ses ancêtres ayant vécu en Louisiane. Un petit gars de bonne famille. Ta mère, elle, c'était la fille du coin. La plus jolie fille du coin si on en croit les habitants de la ville. Appréciée, cheerleader, reine du bal de promo... mais vraiment pas du bon standing d'après la famille Duplessis. Et pourtant, l'amour était là. Et pourtant, tu as pointé très rapidement le bout de ton nez.
Tu as de vagues souvenirs de ce que tu appelles "la vie avant". Quand elle était toujours là. C'était la vie simple, la vie belle, la vie heureuse. Ta mère était toujours attentive avec toi, toujours à te bercer de chansons, toujours là pour te mettre au lit. Ton père était toujours là pour éviter que tes facéties se transforment en accident. Ça l'amusait, à l'époque. Il trouvait que tu avais beaucoup d'énergie, que c'était une bonne chose. A l'époque.
Tu te souviens du jour où tout est parti à vau-l'eau. Tu te souviens d'une journée banale qui vire au cauchemar, du braquage de banque, du bruit des coups de feu, de l'odeur de sang, du regard vitreux de ta mère... Tu ne pourrais jamais effacer cette scène de ton esprit. Et avec ta mère, c'est toute ton enfance qui était morte.

Tu avais changé profondément après cela. Tu t’étais renfermée, tu avais renoncé à l’enfance, et aux sentiments visiblement. Tu devais être l’adulte de la maison car ton père s’écroulait littéralement. Et puis, Karen était entrée dans vos vies. Elle avait toujours été là, pour être honnête, elle avait toujours tourné autour de ton père d’aussi loin que tu te souviennes, sauf que maintenant elle avait les coudées franches. Ils avaient fini par se marier, rendant ton calvaire permanent. Karen et ses enfants s’étaient installés chez vous, et on te rendait responsable dès que les choses ne se passaient pas bien alors qu’il fallait bien être honnête : Karen faisait tout pour faire de ta vie un enfer, mais ton père semblait aveugle à ses manœuvres.

Tu n’as jamais été la fille la plus populaire de l’école. Non, tu étais plutôt la rebelle, la solitaire, celle que les gens regardent de loin et n’osent pas aborder. Tu t’en fichais pas mal. Tu avais peu d’amis mais il s’agissait d’amis de qualité.
Dès que tu en avais eu l'opportunité, tu avais quitté la maison familiale. Tu ne supportais plus la pression constante. Alors, avec l'argent que tu avais mis de côté, tu t'es pris un appartement et tu as commencé à travailler. Forcément, en sortant du lycée, tu ne savais pas bien ce que tu voulais faire, tu as un peu tâtonné. Avec le temps, c'est ton amour pour ta ville et ta connaissance intime de celle-ci qui a fini par te guider vers l'immobilier. C'était aussi en grande partie grâce au vieux Hakob qui t'avait prise dans sa boîte, prise sous son aile, qui s'était en faite comporté plus comme un père que ton père durant l'essentiel de ta vie. Et puis il t'avait laissé les rênes et avait pris sa retraite. Un peu comme on te laissait enfin faire du vélo sans les petites roues. Tu étais ton propre patron et ça te plaisait. Ton père avait accepté que tu accoles ton nom à l'agence, tant que tu donnais "une bonne image" des Duplessis. Alors chaque jour tu te levais et tu mettais un costume, tu mettais un masque et tu devenais quelqu'un d'autre à la lumière du soleil. Mais tu n'étais jamais vraiment toi.
Puis il y avait ce déclic, ce petit coup de pouce du destin. Depuis ton plus jeune âge, tu as toujours été une grande adepte du sport. Tu as toujours été calée arts martiaux, ce que Karen n’a jamais compris puisque ce n’est pas franchement féminin mais tu n’avais jamais aimé te cantonner aux clichés sexistes. Le sexisme, c’est un truc qui t’emmerde bien. Toi, tu aimes casser les stéréotypes. Et puis ça te permettait de canaliser cette colère noire, insidieuse, qui te brûlait les veines. Alors tu avais commencé par le judo, puis le taekwendo avant de venir à la boxe. Chaque nouveau pas était une escalade, une découverte, un plaisir renouvelé. Tu aimais la tension qui habitait tes muscles, cette exigence de soi, l'adrénaline du combat. C'était comme si le destin te préparait doucement à ce dans quoi tu allais tomber la tête la première. Le fightclub. Il avait avoué t'avoir observé de loin, avoir remarqué cette façon que tu avais de faire semblant, de charmer ton monde. Il avait affirmé avoir vu la lueur sombre au fond de tes yeux, et qu'il avait le plan qu'il te fallait. Tu l'avais pris pour un dingue. Après tout, t'étais à une soirée à laquelle tu ne voulais même pas aller et tu te retrouvais à gérer des paris. Ouais, ça t'avait bien fait rire de mener ces mecs par le bout du nez. Il t'avait vu, dans ta robe créateur, toute en blondeur et en rouge carmin. Ils t'avaient mise au défi. Les idiots. Tu les avais manipulé, avait lancé des paris, fait monter les enchères. Et tu avais raflé la mise. Quelques égos avaient été froissé mais ils s'en remettraient sans doute. Mais lui t'avait repéré et il avait vu à quoi tu pourrais servir. Alors il t'avait amené un soir, et tu avais été subjugué. L'ambiance, le sang, la force et la rage brute... l'humanité la plus dépouillée. Tu avais senti le frisson sous ta peau et tu n'avais pas pu faire comme si de rien n'était. Tu avais accepté de rejoindre leurs ranges. Tu ne t'attendais pas à y trouver une famille. Tu mettais tes talents au profit du groupe: tu rabattais des combattants et tu prenais les paris: qui aurait cru que bookmakeuse était aussi amusant ? Ton boulot de jour te permettait de vous trouver des lieux discrets où on ne vous trouverait pas. Et ainsi ta vie était enfin à l'équilibre. Tu étais enfin à l'équilibre.