(ailish) no guts, no glory

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Y’a des gamines qui s’imaginent comme des princesses, à attendre leur prince charmant dans leur tour d’ivoire.
Y’a des gamines qui jouent à la dînette, aux poupées, prennent le thé comme des grandes dames et apprennent à parler autour de quelques futilités.
Y’a des gamines qui se font belles devant le miroir, qui enfilent les talons de maman, rêvent de strass et de paillettes.

Mais toi, toi tu voulais être le méchant dragon qui enfermait la princesse. Tu voulais jouer au poker comme un gangster, faire la méchante, jurer comme personne et cracher encore plus loin. Les mains tâchées, la mine barbouillée, tu te plaisais là où ça salissait, là où rien n’était beau, là où ce n’était pas convenable pour une gamine.

C’est dans les pas de tes frères plutôt que ceux de ta mère que tu voulais marcher.

Gamine enfiévrée, petite reine de son monde, tu courais dans cette maison avec l’insouciance des enfants, les yeux pleins d’étoiles, à rêver d’aventures. T’avais un royaume, un royaume imaginaire, que tu gouvernais sous les regards amusés. Tes jeux ont ravi ton enfance, seule en tête à tête avec toi-même, perdue dans ton imagination. Et quoi qu’il en soit, dans la moindre de tes aventures, t’étais toujours la méchante, parce que c’est ce rôle qui revient à tes frères dans la vraie vie. Tu dérobais tout ce qui te tombait sous la main, tu fouinais juste assez pour être emmerdante, tu leurs collais aux basques, aux hommes de la famille. Petite dernière, des années d’écart avec tes frères comme un gouffre infranchissable, t’étais bien seule dans tes jeux, mais ça ne t’empêchait pas de leur prendre la main, de les entraîner avec toi, de les attirer avec de grands yeux suppliants. Tu voulais faire partie de leur vie, avoir cette importance pour eux, être la seule, l’unique. Sentir leur affection, accaparer toute leur attention. Un besoin qui n’a pas changé, même aujourd’hui.

T’étais l’enfant innocent, et bien le seul de la fratrie. Tenue éloignée des affaires familiales, élevée par une mère toute aussi effacée de ce genre de maux. Mais toujours, fallait que tu traines des pieds près d’eux, que t’en perdes pas une miette, que tu cherches par tous les moyens à être près d’eux, que tu les regardes avec admiration et envie. Et tu le fais toujours aujourd’hui, d’une différente manière. Quand t’étais petite, y’avait de l’admiration, de l’envie, mais pas encore la désillusion des années. T’y croyais encore, tu gardais cet espoir, d’être comme eux, d’un jour réussir à être à ta place, au milieu de la fratrie. T’avais la fougue de la jeunesse, de grands idéaux, que le temps a terni. T’es toujours aussi déterminée, aujourd’hui, mais t’as déjà buté contre de trop nombreux obstacles, t’as appris à te relever et à raccrocher, malgré le rejet permanent.

Les années sont passées, ont détruit peu à peu la sphère familiale. Cahal s’en est allé le premier, et les autres l’ont suivi. T’as bien fini par te retrouver seule, coincée là dans cette maison qui se dépeuplaient, à craindre l’ombre du père, mais à toujours refuser de te réfugier dans celle de ta mère, trop forte pour ça, et surtout trop fière. Alors y’a des petits mots que tu te murmurais le soir avant de t’endormir en observant le plafond de ta chambre, parce que c’était bien tout ce qui t’empêche de craquer, de dévoiler ta faiblesse – pour ne surtout pas leur donner raison.

Ils ne veulent pas de toi, alors toi non plus. T’as besoin de personne.



Il est mort. T’avais du mal à aligner tes pensées, tu les regardais, là, tous, rassemblés autour de son souvenir. Il est mort. T’étais pas sûre de comprendre, en fait, ça te paraissait irréaliste. Comment pouvait-il mourir, lui ? Parce que s’il mourait, ça remettrait en question tout un monde, ferait basculer un jeu de pouvoirs entier. Et s’il mourrait, lui, qui serait le prochain ?

Mais il était bien mort, on t’avait enlevé ce père, pour l’enterrer là-bas, au milieu des corbeaux. Et t’avais plus que tes larmes pour te souvenir de lui, enfant effrayée. Et soudain, tu t’es retrouvée toute seule. Toute seule face à toi-même. Avec cette mère muette, que le deuil ravageait, et toi qui ne savais plus que dire pour consoler, pas sûre de savoir combler le gouffre qui s’était aussi ouvert dans ton cœur. T’étais trop jeune pour ça, et ça te perturbait bien plus que tu n’osais te l’avouer. Obsédée par l’idée d’être forte, de leur faire honneur, de pas les décevoir, t’as enterré ta peine, sans savoir comment faire autrement, parce qu’on ne t’a jamais appris autre chose. Les gens meurent. Ainsi va la vie.

On aurait pu croire que ce serait enfin ton heure, qu’on t’accorderait cette place qui te revient de droit – à ton avis. T’y croyais. Le père déchu, ton frère à sa place, il ferait sûrement preuve de moins d’intransigeance, te prendrait sous son aile, accepterait de te faire asseoir à la même table qu’eux. Quelle naïveté…

Ils t’ont ignoré comme ils t’ont toujours ignoré.



On aurait pu croire que la mort du patriarche, de l’empereur de ces terres, t’aurais ouvert des portes. Mais non, Cahal t’as pas laissé une chance non plus, t’as ignoré comme ton père aurait pu le faire. T’as buté contre les refus, la rage aux dents, le cœur vexé, blessée dans ton orgueil. T’aurais pu comprendre, aux premiers instants du deuil. T’étais jeune, même pas majeure, une simple adolescente qui n’avait pas forcément sa place dans le monde des adultes. Pas encore. Ça ne t’a pas empêché de garder cet espoir, qu’un jour, un jour ça marchera, et que tu sauras te hisser auprès des plus grands.

Mais voilà, le temps est passé, et toi, t’es toujours coincée dans le rôle de la petite sœur, celui dont on refuse de te déloger. L’enfant à protéger, même si t’as grandi, pris de l’expérience. La femme qui ne trouvera jamais sa place dans ce monde d’hommes. On ne t’écoute pas, on ne t’entend pas, on ne te voit même pas, t’es trop petite et leur regard passe au-dessus de ta tête sans se baisser et te trouver. On ne t’a jamais accordé aucun crédit, pas à toi. Alors tu te construis ton propre royaume, terrée dans ton esprit, tu ravales ton aigreur et ta rancœur, repliée sur toi-même. Tu cherches ton indépendance, à petit pas, sans jamais vraiment oser t’éloigner. Tu te noies dans les pages de tes livres, dans les bols de peinture, dans les observations minutieuses du monde qui t’entoure. Tu côtoies le monde, d’autres gens, de ceux qui t’acceptent comme tu es, sans te considérer comme une enfant.

T’es pas des leurs, ouais, ils te l’ont bien fait comprendre. Finalement, tu ne t’appartiens qu’à toi-même, même si c’est difficile à l’envisager. Et toutes ces années, tu stagnes, faut bien te l’avouer quand même. Dans la même ville, auprès des mêmes gens, enchainée à cette famille qui ne t’accepte pas pleinement, à ces terres qui ne seront jamais les tiennes.

Tu seras à jamais une éternelle étrangère, déphasée de cette vie qui ne veut pas de toi.



Ta peau ressemble à l’une de tes toiles. On y a dessiné des arcs-en-ciel, on y a laissé des traces violacées, bleuies, et les plus mauvaises virent au vert, au jaune, tâchent même de rouge ton épiderme, là où t’as saigné. Tu peines à te reconnaitre dans le miroir, l’œil bouffi, les pommettes saillantes. Tu n’y crois pas. Ça ne peut pas être toi. Ça ne peut pas être lui. Si ? Pourtant, il te semble que t’aurais dû le voir venir. T’aimes trop te brûler les ailes, voler trop près du soleil. Un jour, tu t’abattras sur la terre comme une comète à la queue scintillante, infiniment destructrice, mais tu ne t’en relèveras pas.

Vous vous êtes aimé fort, peut-être un peu trop, finalement. T’avais le diable au corps, énivrée de ses yeux, à lui susurrer des mots doux, avant de tout aussi vite changer de ton, cracher et tempêter. Le moins que tu puisses dire, c’est que tu ne t’es pas ennuyée, oh non, t’as vécu chacun de ses petits instants volés, t’as chéri autant les crises de colères, ces disputes à en faire trembler les murs, que vos retrouvailles passionnées. Vous êtes passés par toutes les étapes, vous les avez brûlés, ne les avait jamais mis dans le bon ordre. Il t’aurait presque demandé en mariage avant même de connaître ton prénom, et toi, toi tu lui aurais vendus ton âme sans confession. Vous vous êtes aimés si fort que vous vous êtes embrasés dans le ciel. Vous flamboyiez, à deux, et t’aimait ça. T’avais enfin l’impression d’être à ta place, de connaitre l’amour d’un autre. Erigée au rang de déesse, plus importante que toutes les autres. Lui, il acceptait de tout te partager, que tu sois une femme ou non.

Peut-être que t’aurais dû le voir arriver, que t’aurais dû te douter, au fond, de comment ça ne pourrait que se terminer. La fois de trop. La goutte qu’a fait déborder le vase. T’as peut-être gueulé un peu trop fort, critiqué trop justement. T’es pas bien sûre de savoir, d’être capable de poser le doigt sur ton problème, sur la faute que t’as commise. Sauf que c’est pas ta faute. T’as cette certitude au creux des reines, de pas avoir mérité ça, pas cette violence, non, y’a bien d’autres solutions. C’était injustifié. Alors tu relèves la tête devant la glace, tu refuses de baisser les yeux, de détourner ton regard de ton reflet. Tu ne garderas pas cette honte-là, victime, l’adjectif collé à la peau. Obsédée par ta faiblesse mise à nue, t’es plus capable de ne rien voir d’autre. T’as rien pu faire, t’as juste tenté de te protéger au mieux. Mais ça n’a pas suffi.

Il a donné raison à tes frères. A montré à la face du monde entier quelle faiblesse était la tienne. Tu te crois forte, Ailish, mais une nouvelle fois, on te rappelle combien tu as besoin d’eux.