Journée de repos, soirée de libre. Les heures lui filent entre les doigts, s’écoulent sans lui laisser le temps d’en profiter. Les secondes s’égrènent à une vitesse folle, lorsqu’il n’y a plus aucune obligation, sinon celle de profiter de ses paresses. Activité à laquelle elle s’adonne avec joie, loin du casino et de ses folies. Le soir venu, elle renoue avec ses proches, que ses horaires alambiqués éloignent. La nuit, elle sert les gens, les divertit, leur permet de profiter de ces heures indues, de l’obscurité qui permet le moindre écart, laisse place aux vices qui gangrènent les hommes. Elle n’a plus le temps pour elle-même, de se glisser sous la lumière des néons, bras dessus bras dessous, de plonger ses lèvres dans les breuvages ravageurs. Tenue d’être là, professionnelle, de ne surtout pas perdre une miette du jeu.
Les artifices tombent, lorsqu’elle troque l’uniforme du Red Lion pour des vêtements plus personnels, le temps d’une journée et d’une soirée. Il n’y a plus qu’elle-même et son sourire pour s’agiter dans la foule, suivant les divagations de ses pas, sans poser une seule question. Lewisburg sait les contenter. Ils en connaissent tous les travers, à force d’arpenter la ville depuis l’enfance, savent bien à quel bar s’accouder en fonction des esprits échauffés qu’ils trainent dans leur sillage. Enfin à une table, les verres viennent presque d’eux-mêmes à elle, et le temps passe sans qu’elle ne le voie, seulement marqué par les allers venus de ses compagnons, les départs et arrivés qui réjouissent autant qu’ils ne déçoivent. La soirée avance et la banquette se vide, et elle ne partage ses verres bientôt plus qu’avec un couple fort occupé. Pas très réjouie à l’idée de tenir la chandelle pour le reste de la nuit, elle préfère s’éclipser à son tour, pas très sûre sur ses jambes, mais parvient quand même à se frayer un chemin vers le bar, proche de la sortie.
Déjà prête à partir, une mesure prise par la nécessité des choses, mais qu’elle regrette déjà – il n’est pas si tard – elle revoie pourtant ses projets en reconnaissant un visage accoudé au bar, avec toute l’assurance qui lui est propre. Une occasion de ne pas revenir trop tôt hanter les pénates de son frère. Guillerette, elle l’accoste sans gêne, sans se demander une seule fois s’il pourrait vraiment envie de la revoir, ou même de lui parler. Elle n’est pas bien sûre que ce soit pour sa conversation qu’ils ne se soient trouvés. « Wah ! qui voilà ! mais c’est… c’est… » Les mots lui manquent et la mine soudain défaite, elle le dévisage, fait mine de réfléchir, avant d’étirer une nouvelle fois ses lèvres, décidée à ne pas perdre contenance. Jamais. « Un prénom. Ouais, un prénom. Mais j’sais plus l’quel. » Elle offre un sourire d’excuse, un air contrit. Echec de l’abordage. Elle s’y reprendra mieux une prochaine fois. Sauf qu’il ne risque pas d’y en avoir, ou du moins pas avec lui, avec ce flop qu’elle vient de faire.
La montée de gêne qui l’englouti ne lui fait pas perdre sa bonne humeur, pas lorsque l’alcool règne en maitre incontesté du royaume de son esprit. « J’suis désolée euh… oh, fais pas cette gueule ! ça va ! » qu’elle se réécrie en lui accordant un haussement de sourcils. Tant bien que mal, elle parvient quand même à se percher sur un tabouret, histoire de se sentir un peu moins petite à côté de sa haute silhouette qui lui fait se tordre le cou, rien que pour apercevoir ses beaux yeux. Elle dédramatise les choses d’un roulement des yeux, anticipant un peu trop son jugement. « Ça arrive à tout le monde d’avoir un trou, eh. Ça me reviendra bien. » Sûrement que le lendemain, pour la faire se sentir un peu plus bête. Il sera trop tard, si tard qu’elle en aura déjà oublié sa gêne, engloutie par les brumes de l’alcool. « Et en plus, j’ai un peu bu. » La belle excuse. Mais c’est tant mieux. Finalement, elle ne préfère pas se souvenir de la moindre bourde de commise. Elle pourrait s’en aller, éviter les déconvenues, aussi, mais préfère surenchérir. « J’t’offre un verre pour m'faire pardonner ? » Elle n’a jamais trop su se faire plaisante ou aguicheuse, dans ses maladresses et sa franchise, se contente donc du sourire le plus étincelant possible pour faire passer la proposition.
Affalé dans un fauteuil qui soutient tout le poids de son corps avachi, le coude sur la table et sa main qui maintient avec lassitude sa tête penchée, Ethan se fait chier à mourir. Les prunelles azurées fixées sur l’horloge qui lui fait face, il contemple avec un profond désarroi les secondes qui passent. Les soupirs s’échappent par milliers, tout comme ses bâillements ne se font pas prier pour se montrer. Cette réunion, il s’en serait bien passé. Le vin et toute la gestion du domaine familial, il n’en a rien à carrer. Sa présence requise, son frère a tellement insisté qu’il n’a eu d’autres choix que d’abdiquer. Pour autant, il ne prend nullement part à la discussion. Les décisions lui passent au dessus de la tête et il acquiesce plus pour la forme que par réel intérêt. En vérité, il n’écoute pas un traître mot du débat. Il ne connait pas le sujet abordé puisque ça ne l’intéresse pas. Faire acte de présence parce que son frère a besoin qu’il soit à ses côtés en cet instant, c’est tout ce qu’il est capable de donner. Les regards de travers de son aîné ne l’aident en rien à se motiver. Parce qu’Ethan est bien trop borné pour se plier à ses volontés.
L’heure de la libération à sonné, le californien est le premier à s’échapper. Il s’enfuit vite, pour éviter de se faire chopper par son frère agacé. Ça sent les remontrances à plein nez, autant filer avant que l’orage ne se mette à gronder. Parce qu’il a bien conscience que si son aîné commence à s’énerver, lui ne restera pas à le regarder les bras croisés. Quand on le cherche, on est certain de le trouver. Surtout quand le vignoble et sa gestion en sont le principal sujet. Mais il a suffisamment perdu de temps pour aujourd’hui. La soirée est déjà entamée et il a besoin d’un remontant pour annihiler l’ennui qui l’a consumé pendant des heures.
De retour en ville, il s’arrête dans le premier bar qui croise sa route. Bien apprêté, comme à l’accoutumé, il passe les portes de l’établissement comme un prince entrerait dans son palais. La prestance et le charisme en toute circonstance. Il a eu du mal à se faire à cette ville, dix ans auparavant. Entre Los Angeles, Las Vegas et la bourgade de Lewisburg, ce n’est plus une marge qu’on trouve entre ces villes, c’est un fossé. Repérant une place au comptoir du bar, il s’y installe et ne tarde pas à commander. Son whisky servi, il amène son verre à ses lèvres pour en savourer la première gorgée. Gorgée bien trop vite avalée puisqu’on vient déjà l’importuner. Retenant un soupir d’exaspération, il repose lentement son verre et tourne la tête vers la demoiselle visiblement éméchée. Ah. Quel est son nom à celle-là déjà ? Aileen ? Haylie ? Quelque chose dans le même genre, autant dire qu’il n’a pas vraiment retenu son prénom. Ah, Ailish, voilà ! Presque. A peu de choses près. Il se souvient principalement de son corps et de leurs ébats que de son nom. Même s’il lui a laissé son numéro pour avoir un plan cul sous la main, au cas où. « Toi, tu es complètement déchirée. » Qu’il se contente simplement de balancer, non sans une légère pointe d’agacement. Cette fille, il ne la connait pas vraiment et il n’a certainement pas envie de jouer au baby-sitter pour poivrotte en cette sombre journée.
Malheureusement pour lui, les gens bourrés ont tendance à se montrer un peu trop envahissants et collants. Preuve en est qu’elle s’installe déjà à ses côtés. Le soupir, cette fois, ne peut pas s’empêcher de s’échapper. T’es foutu Ethan, il va peut-être même falloir que tu la raccompagnes chez elle. Belle journée, n’est-ce pas ? « Tu m’en fais un beau de trou, ouais. » Le sarcasme lancé, il amène son verre à ses lèvres, levant les yeux au ciel dans le même mouvement. La boisson avalée d’une traite pour lui donner le courage nécessaire pour la supporter. Il est patient, Ethan, mais pas quand il se fait emmerder. « Sans déconner ? Ça se voit à peine. » Bien sûr qu’elle a trop bu, qui pourrait en douter ? « Tu n’as pas des amis à emmerder ? » Ou comment la virer plus ou moins gentiment. Même si la tentative de l’évincer est un échec cuisant. Lorsqu’elle lui propose un nouveau verre, il la dévisage longuement. L’hésitation sur les traits de son visage. S’il accepte, il va devoir se la coltiner. S’il refuse, il accentue sa mauvaise soirée. Dilemme. « Ok, un whisky. » Le soupir est lancé en même temps que sa capitulation. Décidément, c’est la journée. « Je peux même t’en offrir un si tu me promets de ne pas me vomir dessus. » Parce que boire seul, c’est presque déprimant. « Et c’est Ethan. Mon prénom. » Dans son état, pas sûr qu’elle le retienne. « Tu es arrivée toute seule ou tes amis t’ont lâchement abandonnée ? »
Sujet: Re: new rules (ethan) ☆☆ Lun 18 Mai - 23:20
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Elle a beau avoir déjà quelques coups dans le nez, il faudrait être aveugle pour ne pas déceler la graine d’ennui qui s’est implanté en lui sitôt qu’elle l’a abordé. Elle l’emmerde, et ça se voit. Il ne prétend même pas le cacher, en se tournant vers elle, les yeux désintéressés. Ses mirettes ont beau chercher, mais il n’y a pas une once d’empathie dans ce regard. Rien de bien étonnant, c’est rarement avec le sourire qu’on accueille les éméchés insistants. Et quoi qu’elle en dise, c’est bien dans cette catégorie qu’elle joue ce soir. Plutôt que de se voir accostée par des impromptus, elle se case d’elle-même comme gêneuse par son attitude. Enfin, qui lui en tiendra rigueur ? Il n’y a plus grand monde pour la juger, après tout. Rien que des parfaits inconnus, dont les faciès se mélangent dans les brumes alcoolisées. Que John Doe ait une mauvaise impression d’elle importe peu, finalement, elle se sera bien vite perdue dans la ville, oubliée des regards inquisiteurs. Elle n’a jamais été trop portée sur le bien paraitre. « Oh ! détends-toi. » Et qu’ça roule des yeux... Même si c’est elle qui se fait intruse pour cette soirée, il parvient tout de même à lui taper le système par ses remarques et ses grands airs. Elle se sent comme une adolescente surprise là où il ne faut pas, pour changer… Vrai qu’il est bien plus âgé qu’elle aussi. Allez savoir quelle lubie nous prend, une fois bien inhibé.
Pourtant, ils arrivent bien à une concession, un semblant d’accord, sans trop avoir à hausser le ton. Elle a peut-être trop bu pour se récrier, faire attention à son attitude. En d’autres temps, elle aurait claqué la porte – si porte il y avait – aurait trouvé d’autres gens à emmerder. Mais voilà, ivre d’alégresse, ce n’est plus la raison qui gouverne sa personne et elle vogue d’un côté à l’autre, joue une valse qu’elle est bien la seule à entendre pour se tenir toujours là, près de lui, idiote qu’elle est. « Ok, je t’en paye un, tu m’en payes un. Mais j’suis pas sûre que t’y gagnes au change, hein ! » Mieux vaut qu’il ne s’attende pas à quelque chose de grandiose, ce n’est pas le même genre de porte-monnaie qui dort dans leurs poches. Et elle ne compte pas se ruiner pour ses beaux yeux. « Du coup, un whisky pour monsieur ! » qu’elle quémande au barman, accoudée devant lui, à observer ses allers et venues entre les commandes des clients. Pour finalement se retourner vers son vis-à-vis, les sourcils froncés. « Et tu peux sourire, hein, promis, ça t’arrachera pas les dents. » Et comme pour le lui prouver, lui montrer la marche à suivre, c’est à son tour de sourire, une nouvelle fois.
Mais elle sait reconnaitre l’échec quand il vient, lui accorde une échappatoire d’un haussement d’épaule. Au pire, elle le boira elle-même ce whisky. « Fin bon, tu peux le dire hein, si je dérange. De toute façon j’allais repa… » La sonnerie de son téléphone la coupe en plein élan, elle s’interrompt pour dégainer l’objet impromptu. Avec un soupir, elle fixe le prénom affiché, plisse le nez avant de glisser le doigt pour décrocher. « Pardon, deux minutes ! » Elle s’excuse sans vraiment l’être – après tout, elle aurait bien le droit d’être aussi désagréable que lui – tourne sur son tabouret pour se mettre dos au bar, l’engin collé à l’oreille, une moue sur le visage, à attendre que la connexion se fasse. « Ouiiiii ? Qu’est-ce qu’y’a Loni ? » A l’autre bout du fil, il grésille, branché sur un autre canal que le cerveau embrumé de sa sœur, qui se contente de froncer les sourcils, fatiguée d’avance. « Quoi ? Mais non, j’suis pas chez Cahal, j’ai autre chose à foutre d’mes soirées que m’morfondre dans son manoir tout tristounet. » Il y a toujours plus satisfaisant que de fixer dans le blanc des yeux un portrait déprimant, errer entre les hauts murs gris et ternes. Elle a beau aimer cette belle bâtisse, il y manque une vie dont elle est avide. « Mais Lonàn… » Il lui fait rouler des yeux, à croire qu’en plus de supporter les soupirs du mec condamné à partager un verre avec elle, elle doit endurer les lubies du grand frère. Quelques mots plus tard, elle finit enfin par raccrocher, et le téléphone s’échoue sur le comptoir. Une nouvelle fois ses mirettes s’échouent sur le fameux Ethan, tentent de reconnecter deux ou trois pensées cohérentes. « Et j’sais plus ce qu’on disait. » Elle a perdu le fil. Un mal pour un bien ? Il vaut peut-être mieux savoir lâcher l’affaire avant de trop s’y embourber.
Il a de la patience, Ethan, en règle générale. Sauf quand il doit materner les boulets bourrés. Parce que clairement, la petite Ailish lui fait littéralement perdre son temps avec ses réflexions à la con digne d’une gamine de dix ans. Il retient à peine les soupirs d’exaspération qui lui enserre la gorge lorsqu’elle s’adresse à lui. Ne cache absolument pas son ennui flagrant. C’est limite s’il ne cherche pas déjà une échappatoire des yeux en balayant la salle du regard. Non vraiment, il n’est pas d’humeur à la supporter ce soir. Malgré tout, par on ne sait quel miracle, il accepte son invitation à boire un verre avec elle. Après tout, si elle obtient satisfaction, peut-être qu’elle ira jouer ailleurs une fois la boisson descendue, non ? Peut-être même qu’en buvant le sien, elle sera assez déchirée pour le laisser tranquille, focaliser son attention sur quelqu’un d’autre. Sait-on jamais. « Je ne cherche pas à gagner quoi que ce soit, ça me fait plaisir. » L’hypocrisie se déversant à travers chaque pore de sa peau, il lui adresse un léger sourire mielleux, à peine perceptible tant il n’a aucune envie de forcer le trait. « Deux whiskys. » Qu’il surenchérit, l’envie de faire des efforts pour lui demander ce qu’elle veut boire lui manque. Levant les yeux au ciel, il s’exécute tout de même, un peu, lorsqu’elle lui demande de sourire. « Voilà, mademoiselle est-elle satisfaite ? » De toute façon, il ne fera pas mieux.
Elle recommence à se plaindre mais ne termine pas sa phrase, coupée par la sonnerie de son téléphone. Parfait, un peu de répit. « Vas-y, vas-y. » Oh non, ça ne le dérange pas qu’elle réponde. Au contraire, c’est un soulagement. Pensant qu’elle s’éloignerait pour prendre l’appel, il soupire une nouvelle fois en la voyant simplement se retourner. C’est une blague, n’est-ce pas ? Un canular peut-être ? Où sont les caméras cachées ? Pour autant, il se fige en entendant un prénom, ou plutôt un surnom. Loni ? Non impossible, la coïncidence serait trop flagrante. Hasard bel et bien insoupçonnable qui le frappe alors de toute sa puissance. Cahal, Lonàn, les prénoms de ces foutus irlandais s’enchainent bien trop vite dans une seule conversation pour que la coïncidence n’en soit pas réellement une. Elle connait donc ces putains de McGrath ? Impossible. Qui est-elle pour eux, au juste ? Une amie ? Une employée ? Une cousine ? Ou mieux, une sœur ? Depuis quand en ont-ils une ? L’intérêt soudain ravivé, il n’a plus envie qu’elle lui échappe. L’opportunité d’obtenir des infos importantes est bien trop belle. Une chance inespérée qu’il se doit absolument de saisir. Ses pensées s’enchainent à une vitesse folle. Il FAUT qu’il en sache plus.
Sa conversation terminée, il tourne la tête vers elle, un sourire un peu plus franc sur les lèvres. Il est temps de jouer à un autre jeu. A bas le masque de l’indifférence, bonjour le Ethan souriant et intéressé, tout en subtilité. « On cherchait un sujet de conversation. » Mais tu viens de le trouver. Le barman dépose les verres commandés sur le comptoir avant de s’éloigner. D’un geste, Ethan attrape le sien et pousse celui d’Ailish vers elle, sourire aux lèvres. « A la tienne, Ailish. » Lance-t-il avant d’amener sa boisson à ses lèvres. « C’était le pote jaloux et possessif qui s’inquiète de ne pas te voir rentrer ? Ou un membre de ta famille qui te rappelle le couvre-feu ? » Prêcher le faux pour connaitre le vrai. Technique qui fonctionne toujours, surtout sur des personnes en état d’ébriété avancée. « Je sais ce que c’est, j’ai un grand frère plutôt chiant. » Le genre qui aime se mettre sur son dos pour son manque d’implication dans l’entreprise familiale, par exemple.
Sujet: Re: new rules (ethan) ☆☆ Mar 2 Juin - 21:51
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Beaucoup trop imbibée pour vraiment reconnaitre que le sourire qu’il lui adresse cette fois-ci est bien plus franc que le précédent, elle se contente de froncer les sourcils, sentant quelque chose, sans trop pouvoir mettre le doigt dessus, le cerveau dodelinant d’un bord à l’autre de sa boîte crânienne sans vraiment savoir que penser. Mais soudain avenant, il se penche vers elle, prêt à engager la conversation et elle marche, Ailish, non, même mieux, elle court, elle s’élance, elle se met à voler sans plus se poser de questions. Elle qui croyait se faire jeter finit par attraper son verre et trinquer avec le drôle de bonhomme qu’elle a harponné. « A la mienne ? » Pourquoi pas après tout. Même si elle n’a guère fait de choses remarquables ce soir, s’est contentée de s’amuser assez pour oublier l’heure et les convenances. Et de venir emmerder un pauvre gars qui ne lui a rien demandé.
Bien vite, les mots filent, et elle sourit, amusée par l’idée. Oui, parfois Lonàn s’apparente plus à un pote buté qu’à un grand frère, sans cesse ailleurs. Lié par quelque chose de plus, ils sont les jumeaux d’une autre vie, plus fait pour rire l’un de l’autre ensemble plutôt que de veiller sur le deuxième. Mais le pauvre Ethan n’a aucune idée de ce que c’est, un frère relou, un vrai de vrai, elle s’en persuade vite. « Pwah ! J’te bats. J’en ai quatre des grands frères relous moi. Qui dit mieux ? » Adolescente, l’écart d’âge qui les avait fait quitter le nid bien avant qu’elle ne puisse le faire lui avait autorisé une certaine insouciance quant à eux leurs prérogatives et remontrances d’aînés. Et pourtant, il n’y en avait jamais eu un pour rattraper l’autre et le moindre de ses pas lui semble étroitement surveillé. Quoi qu’elle fasse, elle ne sera jamais libre de toute emprise fraternelle. Il faut dire qu’à quatre, ils ont bien des moyens pour se relayer. « Tu prends ton frère… eh bah tu peux multiplier le taux de chiantise par dix pour chacun d’entre eux. Donc en fait tu multiplies par quarante. » Elle se fait peau de vache devant ce parfait inconnu, sourit, amusée, sans vraiment y croire. Elle peut bien râler autant qu’elle veut, elle ne changerait de famille pour rien au monde, malgré toutes les habitudes agaçantes qu’ils ont prises – et surtout celle de l’éloigner de toutes leurs affaires. « Faut pas croire. C’est des amours en vrai. » Dépend du point de vue. Et de la définition d’amour. Elle occupe une place privilégiée et, tenue dans l’ignorance des détails sordides, elle a encore du mal à appréhender le véritable effet que ses frères ont sur les autres personnes. Mais il n’aura jamais les moyens de vérifier ses dires, Ethan, pas vrai ?
Pour revenir au pote jaloux et possessif à l’autre bout du tel, elle offre un petit sourire d’excuse, l’air de lui dire de ne pas trop lui en vouloir, avale quelques gorgées d’alcool avant de reprendre la parole. « Il est un peu sur les nerfs en ce moment. » Et ils le sont tous, à vrai dire. Elle se sentirait presque illégitime, avec son verre de whisky à la main, alors qu’ils ont des problèmes autrement plus difficile à gérer que les siens. Mais plutôt que de se noyer pour oublier, elle se contente de boire sans trop y penser, pour le seul plaisir de la soirée. Elle jette ses inquiétudes par-dessus son épaule, préfère se tourner vers Ethan que de penser à quelques ères fatiguées par les tourments qu’ils orchestrent eux-mêmes. « Mais t’en fais pas, je crois qu’il a un peu mieux à faire que venir me ramener à la maison par la peau du cul. » Et mieux vaut que ce ne soit pas le cas. Elle plaisante, sous ces quelques mots, mais elle doit lui faire la drôle d’impression d’une adolescente qui essaie de se grandir. Comme elle le fait toujours. La conscience embrumée par l’alcool lui souffle qu’elle a l’air d’une idiote, mais d’un retroussement de mèche derrière l’oreille, elle chasse ces préoccupations, rendue beaucoup trop légère pour son propre bien. « Qu’est-ce qui le rend si chiant ? Ton frère, j’veux dire. Fin, t’as quoi, trente-cinq ans ? Tu dois bien pouvoir l’ignorer ? » C’est toi qui parle, Ailish ? Vingt-six et toujours sous leur aile protectrice, incapable de prendre ton indépendance ?
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Affalé dans un fauteuil qui soutient tout le poids de son corps avachi, le coude sur la table et sa main qui maintient avec lassitude sa tête penchée, Ethan se fait chier à mourir. Les prunelles azurées fixées sur l’horloge qui lui fait face, il contemple avec un profond désarroi les secondes qui passent. Les soupirs s’échappent par milliers, tout comme ses bâillements ne se font pas prier pour se montrer. Cette réunion, il s’en serait bien passé. Le vin et toute la gestion du domaine familial, il n’en a rien à carrer. Sa présence requise, son frère a tellement insisté qu’il n’a eu d’autres choix que d’abdiquer. Pour autant, il ne prend nullement part à la discussion. Les décisions lui passent au dessus de la tête et il acquiesce plus pour la forme que par réel intérêt. En vérité, il n’écoute pas un traître mot du débat. Il ne connait pas le sujet abordé puisque ça ne l’intéresse pas. Faire acte de présence parce que son frère a besoin qu’il soit à ses côtés en cet instant, c’est tout ce qu’il est capable de donner. Les regards de travers de son aîné ne l’aident en rien à se motiver. Parce qu’Ethan est bien trop borné pour se plier à ses volontés.
