Herkja Reynolds / Shit never stops

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Visage imprimé sur les briques de lait. Désespoir salement amoché. Cruauté sans nom qui brisa une mère noyée dans la pénombre de sa haine. Un père submergé par sa culpabilité, dévorante douleur qui ne disparaît jamais. Et ce malgré l'alcool. Malgré le dur labeur. Il en délaissait ses fils. En délaissa sa femme plusieurs années avant d'obtenir le pardon de celle-ci. Elle n'a jamais vraiment pardonné, seulement accepté...

Les Reynolds quittèrent la Nouvelle-Orléans, s'installant alors à Lewisburg. Une maison moins grande, moins de personnel, moins risqué, plus surveillé. D'autres naissances suivirent sans jamais que ça ne puisse combler ce vide laissé par Blake. Cette fillette si rayonnante, si intelligente, si vive et si confiante. Arrachée aux siens, enlevée par une femme au désespoir frappant.

Une femme déchirée par la perte de son deuxième enfant. par la fatalité qu'aucun autre nourrisson ne pourrait lui être donné. Qu'aucune adoption ne serait acceptée. Elle l'aimait, cette petite fille. Sa poupée, sa princesse. Son tout... Elle cessa de déposer des fleurs chaque jour sur la tombe improvisée du fœtus fantasmé.

Un crime qui força le père à prendre une lourde décision : tout quitter pour s'enterrer au fin fond du monde. Bienvenue en pleine campagne norvégienne... Quelques contacts, quelques liens improvisés ; enlèvement parfait. Il provoqua une césure, brisa un foyer. Elle était folle, complètement folle... et les choses n'allaient pas s'arranger. La mère dédaignait son aîné, n'ayant d'yeux que pour la fillette renommée Herkja, trop jeune pour se souvenir de son véritable nom. Une folie qui venait ronger sa seule alliée, colère d'un mari désabusé qui aura tout quitté pour cette femme ayant tourné la carte.

La fillette atteignait les dix ans quand sa plus grande admiratrice, son seul amour, vint la quitter. Sa mère allait devoir ne devenir qu'un souvenir. Une douleur qu'elle ressentit jusqu'au plus profond de son âme. D'autant qu'à présent, Herkja se retrouvait seule... Un frère qui l'a si souvent détestée pour l'attention capturée de leur mère. Herkja avait beau tenter de lui être agréable, à lui partager ce que leur mère lui donnait, à vouloir jouer et parler avec lui. Il en voulait à cette fille d'être ainsi le seul centre d'attention, rejeté au secret d'un père aussi silencieux qu'enragé sans qu'il ne comprenne pourquoi.

La mort de la ravisseuse changea drastiquement ce foyer pourri de l'intérieur. Le patriarche fit redescendre la princesse de son piédestal, ne cachant plus le ressentiment qu'elle lui inspirait. La gamine ne comprenait pas... Pourquoi cette rage si soudaine ? À l'inverse de Cendrillon, Herkja passa de princesse à souillon. Mots durs, jugements et regards bouillonnant de rancœur. Un ressentiment qui lui échappait et qui la construisit les années suivantes.

Son frère passa au premier plan. Ce serait lui qui étudierait. Il obtint la plus grande chambre, les plus beaux vêtements, tous les privilèges. Il devint le centre du monde quand Herkja ne mangeait que les restes. Plus aucun repas à table avec eux, plus aucune sortie en dehors de l'école. Plus aucune couleur sur ses vêtements. Plus de soins, en échange : quelques hématomes laissés là les soirs où l'alcool possédait le père. Et alors l'aîné se surprit à vouloir imiter Herkja... en douce, il lui donnait des gâteaux, des crackers. Il venait voir comment elle allait une fois que leur père avait le dos tourné. Une inquiétude grandissait chez le frère... un pressentiment qui le poussa, malgré la douleur d'une enfance gâchée, à surveiller la porte de la cadette envers qui il se découvrait solidaire. Prêt à la protéger malgré tous les ressentiments qui avaient pu l'habiter.

Des rixes que l'âge permit d'affronter, laissant malgré tout d'irrémédiables séquelles dans l'âme des deux enfants. Un secret maintenu au silence de sous-entendus. Impossible de dire la vérité à cette étrangère de fille sans risquer de tout perdre à nouveau. Mensonge entretenu jusqu'à ce que Herkja ne découvre la face cachée de cette famille. Ouvrage oublié aux pages jaunies, coins dévorés par quelques rongeurs ambitieux. La confrontation avec le patriarche fut immédiate.

Virage à 180 degrés, illusion brisée, voile tombé. Beaucoup de choses vinrent trouver leur sens, s'expliquer et se définir. Herkja aurait pu s'effondrer en mille morceaux mais avant d'en finir, elle voulait tenter sa chance de retrouver les siens. Une enquête laborieuse qui la maintint toutefois en éveil. Inspectrice en service, dévorant les articles de journaux et recoupant les preuves pour assembler les pièces du puzzle. Une quête personnelle qui l'amena en Louisiane.

Au croisement des mondes, Herkja retrouva le chemin de chez elle. Pourquoi n'avait-elle aucun souvenir ? Aucun souffle de vie ? Une noirceur qui la dévorait telle une ombre menaçant de la faire disparaître dans l'oubli. Jusqu'à ce que ce visage ne la toise, ne se fige face à elle. La femme derrière ce visage s'effondra dans de profonds songes.

Blake. Un prénom qu'elle avait l'impression d'entendre pour la première fois et qui, pourtant, lui semblait familier. Comme un rêve lucide trop persistant. Malgré l'acte odieux de celle qui l'avait renommée, Herkja ne pouvait reprendre son ancien prénom. Il fut ajouté à sa carte sans qu'elle ne puisse vraiment l'adopter. Un compromis que ses parents biologiques acceptèrent. Ils la reconnurent, lui resituèrent son patronyme pour lui permettre de mettre son passé de côté et de voir les morceaux de sa vie se recoller. Elle fut accueillie dans la villa reculée de Lewisburg que les Reynolds habitaient depuis sa disparition.

Une famille tout entière à découvrir, à apprivoiser. Père avocat pour un prestigieux cabinet, mère assistante juridique pour une compagnie d'assurance renommée à la Nouvelle-Orléans, la fratrie retrouvée baignant également dans la justice : tout semblait leur réussir. Famille aisée qui se fait pourtant discrète. Le visage de leur petite fille Blake ne s'imprima pas une seconde fois dans les journaux et les briques de lait. Ils firent en sorte que la nouvelle reste confidentielle, que la presse ne se permette pas de mettre leur famille sous les projecteurs. Une discrétion qui permit à Herkja de prendre ses marques. Grâce à ce nouveau départ, elle put rejoindre une école de journalisme. Et si son petit poste à la Gazette de Lewisburg n'a pour le moment rien de prestigieux, elle s'appliqua à faire en sorte d'être à la hauteur des siens. Un pari difficile à tenir, mais baisser les bras ce n'est pas le genre de la maison. Herkja se fit une place, déménagea à la Nouvelle-Orléans et devint journaliste-reporter.

Bien qu'enfermé en prison après de longues années de combats judiciaires, Herkja tint pour responsable son père adoptif de l'accident qui vint frapper le couple Reynolds. Elle avait enfin retrouvé les siens, et le couperet noir de sa vengeance frappa son bonheur comme une fatalité : il avait perdu sa femme à cause de lui, alors elle devait perdre ses parents. Une tragédie qui remua la fratrie Reynolds. Cela fait trois ans qu'ils ont décidé de revenir à Lewisburg, de faire le tri, de mettre leur vie en pause. Aucun ne parvient à réellement tourner la page. L'enquête fut classée : un simple accident. Mais Herkja n'arrive pas à démordre de son hypothèse. De quoi la ronger de culpabilité... heureusement, elle n'a plus à être seule pour affronter ces sombres sentiments...