Smoke and mirrors * Joanna

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Tendrement, les cheveux s'étalent sur l'oreiller.
Pour un de ses baisers, elle était prête à se damner.
Tendrement, son corps se dévêtit
Tendrement, elle s'enfonce dans la nuit.

Dans les ténèbres d'un jour nouveau
Dans les noirceurs d'un jour moins beau.
Car cet homme n'est pas le sien et pourtant
Elle s'apprête à la posséder, à en faire son amant.

Joanna Wagner était devenue Farewell douze ans auparavant. Joanna Farewell rêvait de jeunesse et de liberté. Etouffée dans les cendres d'un mariage dont elle ne voulait réellement se libérer, elle cherchait. Que cherchait-elle exactement? Nul ne le sait. Le premier homme qui écarta ses jambes de femme mariée était un étranger, un acteur dont les ébats sur scène provoquèrent un frisson à l'américaine. Elle s'était étendue sur la table de répétition soir après soir, méprisant l'homme qui l'empêchait de vivre comme elle l'entendait. Elle avait laissé le Connor l'embrasser pour le talent de la scène et l'avait maudit d'avoir rêvé de lui nuit après nuit. Jusqu'à céder à la tentation, jusqu'à ce qu'elle se donne pour d'autres raisons.

Libre.

Voilà comment Joanna rêvait d'être. Ses parents lui avaient pourtant dit de ne pas s'engager à la fleur de ses vingt ans. Mais Joanna à l'époque quittait leur étreinte suffocante. Ce cocon familial qu'elle avait subi, cette autorité maternelle qu'elle avait détesté... tout ça, elle le quittait pour aller respirer. Avec Ernest, elle avait souffert d'un changement radical. Mais la princesse avait adoré chacune de leurs difficultés. Elle avait critiqué aussi. Mais chaque obstacle représentait aujourd'hui un souvenir gravé en elle. Seulement aujourd'hui, sa prison dorée n'était plus celle parentale. L'histoire se répète. Joanna ne se sent plus bien là où elle a pris ses marques. Mais ce n'est pas par manque d'amour, oh non. Joanna souffre d'avoir trop. Elle a besoin d'éprouver les choses, de les faire flancher.

Alors elle te plante un pieu dans le coeur
Alors elle sème sur votre vie le malheur
Joanna quitte la nuit, votre demeure
Pour ne rentrer qu' aux petites heures.

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Je t'aime. Je t'aime. Je t'aime. Dos à lui, regardant le reflet de son homme dans le miroir, elle prononce les trois mots du désespoir. Elle les fredonne dans sa tête, espérant qu'il va peut-être se réveiller. Avec quelle force crie-t-elle dans sa tête? Elle est épuisée. Joanna retire cette robe que d'autres regards ont souillée. Elle se dénude dans la pénombre de leur chambre à coucher, désirant qu'il la voit ainsi... sans artifices, sans faussetés, juste elle. Mais Ernest dort. C'est là le constat le plus affolant qu'elle puisse faire. Il dort. Depuis tellement longtemps maintenant. Tellement longtemps qu'il n'a pas deviné les envies qui avaient germé en elle, les limites qu'elle a rencontrées, les regrets inavoués. Enfoui dans son sommeil éternel, Jo' le maudit. Une main peu tendre s'abat sur ces pans qui n'ont pas voulu retenir le fruit de leur amour. Il ne sait pas. Pour savoir, il devrait avoir les yeux ouverts, écouter, comprendre. Mais il n'a rien vu. La caresse qu'elle impose à ses entrailles la déçoit. Vide. Vide d'enfant, vide de sens.

Tu aurais dû te loger là
Tu aurais dû y rester un temps
Tu aurais pu être une nouvelle voie
Pour ceux qui voulaient être tes parents.

Joanna saisit sa nuisette et l'enfile machinalement. Elle jette un regard désabusé sur le corps qui gît dans son lit comme reposerait un mort. Je te déteste. Je te déteste. Je te déteste. La litanie a changé, elle ne lui volera aucun baiser. Couchée sur le bord du matelas, Joanna contemple le plafond puis tourne la tête. Sur cette chaise repose la robe de ce soir, la petite robe noire qu'un autre lui a arrachée. Les images défilent dans son esprit et une larme perle sur sa joue. Qui pourrait la comprendre quand elle-même subit sa folie?

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C'est une sombre litanie que celle de la tristesse
Quand elle glisse dans son mépris la maladresse
D'un coeur qui bat au rythme d'un sang noir
Qui frappe les coups irréguliers du désespoir.

On l'appelle la reine de la nuit. Car lorsqu'elle quitte les représentations tard le soir, Joanna ne retourne pas chez elle. Sa silhouette s'envole dans les ruelles de Louisianne, avec à son bras un étranger, un ami ou un cousin. Toujours un homme pour la raccompagner, toujours quelqu'un pour partager un dernier verre. Une cigarette qui pend au bout de ses lèvres, un regard vide sur ceux qui la dévisagent d'un air mièvre. Joanna n'offre rien, elle ne se donne pas. Ceux qui possèdent son corps ne connaissent pas sa voix. Pourtant il en est un qui parvient à fasciner ses envies, qui réussit à les provoquer différemment. Il ressemble à celui qu'elle aime encore désespérément. Ernest l'attend. L'inconnu lui tend la main. Le fantasme lui sourit dans son imaginaire. Quoiqu'il en soit, il faut toujours plaire.

Joanna les domine, Joanna les agace. Reine des planches, elle donne des ordres à ses collègues sans prendre de gant. Reine du mépris, la reine de la nuit se moque des commérages. Si les petites jouvencelles qui font de la figuration à ses côtés jasent, c'est par jalousie. Car, malgré le début de sa trentaine, la Farewell séduit bien plus que la gamine de vingt ans. Car malgré l'anneau passé à son doigt, elle ne se prive pas des plus forts ébats. Joanna sourit, impétueuse. Elle peut tous les glacer jusqu'au sang d'un seul mot autoritaire. Car au-delà de son statut d'actrice, Jo' est la maîtresse des lieux. Ceux qui jouent avec elle jouent en vérité pour elle. Et ce n'est pas sans raison, l'ex Wagner a le théâtre dans le sang. Lorsqu'elle lâche un soupir sur scène, c'est le public en entier qui s'exclame de douleur, ressentant avec l'héroïne ses douleurs et ses peines. Mais la belle prolonge les maux et continue son jeu plus tard. Elle rentre chez elle et joue le dernier acte. Celui de l'épouse. Mais l'épouse est malheureuse dans sa cage dorée. Elle attend que celui qui en a la clé les aide à s'échapper. Ou alors qu'il daigne venir près d'elle, près de son plumage enflammé pour se laisser consumer avec son éternelle condamnée.