sun may shine, right now it won't rise (sahel)

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1995 — 2011
s’il y a un jour eu un modèle de famille parfait, Sahel est incapable de s’en souvenir. sous tous ces souvenirs heureux que sa mère partagent sans cesse, se cache un départ inattendu. jour funeste qui a fait de leur vie cette misère ambulante. Hagaza n’était qu’un petit village. les emplois n’étaient pas nombreux et il n’y avait pas de juste milieu : lorsque les richesses commençaient à s’amasser, alors on déménageait à Louxor et lorsque le capital s’appauvrissait, alors on s’embourbait dans les vestiges du village, on devenait décor de cet héritage. artefact humain. alors il s’est inspiré de cet univers, de la poésie que ce village renfermait malgré lui. les matières premières sont devenues son monde, cette pièce manquante à ce trou béant. les anciens lui ont beaucoup appris. en fait, ils lui ont tout appris : la manière de tenir ses outils, l’endroit où il devait taper pour obtenir le résultat escompté. tout se devait d’être calculé, d’être précis et minutieux. il n’y avait pas de place au hasard et c’est sûrement ce qui lui a plu. et puis le village s’est transformé en musée à ciel ouvert. entre les vestiges et les sculptures du jeune Sahel, le village s’est transformé. grisaille permanente devenue pure, aussi limpide que le Nil. et on a commencé à le reconnaitre de par ce talent naissant, grandissant au fil des jours. mais la misère dans laquelle ils vivaient n’étaient plus supportable. être mère célibataire de quatre enfants devaient probablement être l’une des choses les plus dures. à faire mais également à voir. elle la cachait, cette détresse invisible. bien cachée au fond d’elle, la force est la détermination ne laissaient aucune place à cette vulnérabilité dont elle aurait eu besoin. et puis la révolution a fait rage. le pays se déchirait, les blessés s’accumulaient et l’instabilité s’est éprise de leur quotidien, de leur havre de paix. rien n’a plus été pareil. elle y pensait déjà depuis quelques temps, lorsqu’elle a rencontré cette homme, alors qu’elle travaillait à Louxor. en lui promettant monts et merveilles, elle a décidé de le suivre. ils le suivraient tous. loin. très loin de cette Égypte aux pouvoirs ancestraux, loin de cette culture cosmique. loin de tout.  

2011 — 2018
et puis la Colombie est arrivée. ce pays dont il ne connaissait rien, ni la langue, ni la culture. c’était comme repartir de zéro ; ne connaître personne, ne pas comprendre. tout lui semblait si abrupt, artificiel. mais leur vie semblait s’être améliorée, avoir enfin vu cette lueur impossible à dissimuler lorsqu’ils étaient en Égypte. le manque n’était plus le même : leurs repas étaient toujours bien garnis, parfois même un peu trop, leurs dépenses journalières étaient bien plus élevées qu’elles ne l’étaient auparavant et il y avait cette conscience emprisonnante. comme s’ils vivaient dans une vie qui ne leur appartenait pas, une vie de faux-semblants. prêt à se relever, il l’était plus que jamais. il savait parfaitement que tout n’était qu’une question de temps avant de voir le tout mourir sous ses pieds, sans qu’il ne puisse rien y faire. et puis, la nostalgie fit son chemin. tout près de son coeur se logeait ce sentiment intime, insatiable qui ne demandait qu’à faire demi-tour, à retrouver ces vieilles habitudes dans son village d’Hagaza. mais finalement, leur venue en Colombie ne fut pas vaine. sa passion devint l’affaire de ses études. l’histoire de l’art et la restauration d’oeuvres d’art. il n’aurait certainement jamais pensé aller plus loin dans sa scolarité. l’université n’avait jamais été dans ses plans d’avenir et grâce à cette union, il poursuivait finalement une vocation qui le faisait trembler. ébranlé, touché. l’art a su trouver en lui un hôte à la hauteur, prêt à tout pour basculer. c’est en commençant ses études que l’ambition fit enfin partie de son vocabulaire. il vit alors tout ce dont il était capable. et son travail paya. il exécuta quelques travaux pour l’un des musées locaux et il en fut très reconnaissant. mais la chute qu’il attendait depuis un moment se produisit. leur famille était à nouveau mise à rude épreuve et leur vie majestueuse s’arrêta en l’espace de quelques minutes seulement. tout dégringola et disparut. ils ne pouvaient plus retourner en Égypte et leur vie allait désormais se faire ici, dans ce pays qu’ils avaient rejoint afin d’y trouver un quotidien rassurant. mais la vie n’y devint pas moins difficile, une fois qu’ils se retrouvèrent à la rue. abandonné par cet homme qui transforma leurs vies le temps de quelques années. et on dit souvent que le Destin ne fait pas les choses à moitié, que tout est voué à un sens, qu’il soit positif ou négatif. alors c’est là qu’il rencontra Kahlo. cette femme à la présence déconcertante mais qui a su l’apprivoiser, l’attirer dans ses filets. et son talent fut utilisé pour une cause qu’il n’aurait certainement jamais envisagé auparavant mais qui lui sembla primordiale. son talent allait enfin être reconnu et il pourrait aider les siens. la Muñeca. ils ne les connaissaient pas et ils devinrent une seconde famille. une famille qui apprit à le connaître, à découvrir toutes ces envies qui se dessinaient derrière cette humilité écrasante. sa douceur contrasta avec eux, avec l’activité illégale qu’il occupait à présent mais il avait la niaque. d’aider les siens, de les sortir de ce gouffre insoutenable mais surtout, de réussir. de pouvoir vivre de ce talent singulier. alors il les suivit. dans tous les projets, il s’exécutait comme si sa vie en dépendait. et puis vint ce jour où les affaires s’étendirent plus loin. en dehors de la Colombie. toujours plus loin. les Etats-Unis. ce pays monstre, carrefour de tout trafic.

2018 — 2020
devant lui s’ouvrait les portes d’une des plus grandes puissances du monde : les Etats-Unis. pays éveillant une avidité monstre, une ambition flamboyante et une détermination enragée. rester en Colombie n’a jamais été une option. il était hors de question de rester, malgré la séparation avec les siens. la promesse de prendre soin d’eux régnant au dessus de sa tête, c’est à Lewisburg qu’il posa ses bagages. les membres de la Muñeca sont les seuls à savoir où il se trouve. prévoyant, sa famille ne sait pas où il s’est envolé, pour leur bien, sûrement. bien que l’envie de s’évader, de pouvoir s’offrir une nouvelle vie accroît en lui comme un désir encore inassouvi. et même si l’illégalité résonne tout autour de lui, il ne s’est sans soute jamais senti aussi libre. sans papier et sans regret, son dévouement quant à sa deuxième famille est déconcertante. entre l’arabe, l’espagnol et maintenant l’anglais, il manie aussi bien les langues que l’art de la glaise. c’est étonnant et pourtant, sa discrétion lui permet de ne pas éveiller les soupçons sur sa situation. pays des terres promises et des rêves, il se perd à force d’y croire, à imaginer la croissance de l’entreprise, à en oublier cette enfance trouble et misérable. il y voit cette lumière planer au dessus de leurs têtes, les guidant vers le succès. l’organisation lui permettant de terminer ses études ici, c’est comme s’il tentait d’obtenir toutes les informations nécessaires, tout le savoir-faire indispensable à leurs affaires. délicatesse d’être et tumultueux avenir n’espèrent que se confondre pour ne faire ressortir que le meilleur. prêt à faire briller son travail comme jamais avant, à vivre cette reconnaissance internationale. Sahel prince de l’argile et de la glaise.