She was an ocean of sunsets and riptides

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Descends de l’Olympe, ô Calliope, ô reine,
Et dis sur la flûte un chant de longue haleine ;
Ou plutôt, la lyre entre les doigts,
Marie un air au timbre de ta voix.
(Horace, Odes, III, 4)

Le tourbillon des couleurs efface les visages, la musique, les discussions, ne laissant ressurgir que les souvenirs du passé. Elle tourne encore et encore. Lascive. Sur scène elle se transforme en nymphe de la nuit. Transperce les cœurs. Ravive les pulsions. Chacun de ses mouvements ravit les rétines de son public. Son corps ondule au rythme de ses battements de cœur, puis se laisse choir gracieusement au sol, avant de reprendre sa danse endiablée, laissant les plus avides envoûtés par le spectacle qui s’offre à eux. A chaque mouvement réalisé la gamine sent la pression dans sa poitrine s’amoindrir. Danser lui est aussi nécessaire que respirer. Légère, elle s’envole Calliope. Elle est loin. Loin de ses spectateurs. Loin de cette cage. Sombrant dans les limbes de ses pensées. En communion avec elle-même.

Quand on contemple d’où on vient
L’appartement n’avait rien de chic. Trop encombré par le bazar de chacun, il ne laissait la place pour aucune décoration plus personnelle que quelques bibelots. Les deux parents passaient si peu de temps dans cette bicoque qu’il ne leur semblait pas important d’y penser. Cet endroit n’était qu’un lieu de passage. Un funeste foyer par défaut pour leurs gamins, soumis au désemperament et à l’instabilité de leurs parents. Chacun essayait de se créer son espace personnel, sa bulle pour rêver. Trop étouffée par les autres, la gamine jouait des coudes, repoussait ses frères et sœurs dans l’espoir de respirer. Vivre. Ne serait-ce que quelques minutes en tant qu’elle-même. Pas uniquement l’une des trop nombreuses progénitures des Howard. Cette famille qui se soumettait aux règles des autres pour ne gagner que quelques sous. Incapables de percevoir en eux un quelconque talent à exploiter. Des corps fatigués, esquintés par une vie au service des autres. Sans but. Juste survivre au jour suivant. La trace d’une gifle marquait encore la joue brûlante de la gamine. Les oreilles de son frère à ses côtés, cramoisies sous la brutalité du geste de leur père, témoignaient du châtiment reçu. Penauds les deux gamins baissaient la tête laissant la voix de leur paternel meurtrir leurs tympans. Les insanités débitées n’avaient aucun sens pour eux. Ils laissaient la tempête passer, espérant au fond d’eux-mêmes qu’une autre victime prendrait leur place sous peu. Quoi qu’il arrive ils ne cracheraient pas le morceau. Solidaires et loyaux les uns envers les autres. C’était la véritable force des enfants Howard. C’était leur carapace, leur bouclier face aux autres, au monde extérieur et même à leurs parents. Apprendre à se protéger des autres. Les mensonges s’insinuaient de plus en plus dans leurs veines, devenant l’arme qui leur permettait de s’en sortir avec une courbette. Dévier la vérité pour mieux s’en sortir. Mais parfois le mensonge devenait leur vérité. Préférant se confondre avec cette nouvelle réalité qu’ils pouvaient tisser. La gamine excellait dans ce jeu. Se glissant d’un mensonge à un autre comme quand on troque une jupe pour un jean. Une telle facilité à jouer avec les autres. Devenir qui elle voulait. Changer sa réalité pour mieux faire fructifier les futures opportunités. Chaque mensonge elle le revêtait comme une nouvelle peau. Mais quand elle se faisait pincer la punition ne se faisait pas attendre. Ses parents lassés de leurs bobards ne répondaient plus que par la brutalité, les mots n’ayant plus d’impact, persuadés qu’ils arriveraient ainsi à faire rentrer quelque chose dans la tête de leurs enfants. Vaine certitude qui ne provoquait que de nouveaux affrontements, cristallisant à jamais leurs différends.

Quand une cabriole peut changer une vie
Ses pieds la faisaient souffrir. Malgré les bandages. Malgré les soins. Mais la gamine persistait à vouloir continuer. S’entrainant quotidiennement jusqu’à ce que son mouvement soit perfectionné. Elle persistait malgré tout. Malgré l’endroit insalubre dans lequel elle venait se cacher pour s’entrainer. Malgré les supplications et les pleurs qu’elle devait s’infliger pour obtenir un cours de danse par semaine payé. Malgré ses pieds ensanglantés. Malgré ses genoux meurtris par ses chutes successives. Elle ne se pardonnerait pas de baisser les bras maintenant. Sa ténacité payerait à la fin elle le savait ou du moins elle l’espérait. A chaque performance elle se sentait plus légère. L’adolescente se rêvait cygne.  Mais elle n’était encore que moineau. La route était encore longue avant de pouvoir se dire ballerine. Son corps ondulait au rythme de la musique. Se faisait gracieux et aérien. Silhouette céleste qui attirait l’œil. Quelques pas chassés suivi d’un échappé parfaitement réussi. Tous ses mouvements étaient mesurés et délicats. La réception de son jeté se faisait comme sur du velours lui permettant d’enchainer avec plusieurs figures. Cet enchainement elle le travaillait dur tous les jours. Elle savait que si elle réussissait elle pouvait attirer l’œil et obtenir un ticket pour une bonne école de danse. Elle était déjà partie dans sa tête. Loin. Elle sillonnait déjà la côte est dans sa tête. Ses pensées l’emportaient jusqu’à New York. The Big Apple. Le Saint Graal. But ultime recherché. Rien ne la retenait ici. Dans ce trou où elle croupissait. La gamine avait conscience du haut de ses quinze ans que cette ville ne lui apportait rien de bon. Elle n’avait aucune chance de s’élever socialement. Elle avait enfin un but dans sa vie, un rêve à réaliser.  

Quand on préfère oublier d’où on vient
Kelly. La jolie Kelly. La délicieuse Kelly. Aux courbes sensuelles et au regard aguicheur. Aux grands yeux bleus. A la moue boudeuse qui faisait battre fort quelques palpitants. Kelly était morte. Elle avait été et ne serait plus. Souvenir du passé qu’on enfouissait. Effacée des mémoires elle devait devenir autre. Insaisissable. Mystérieuse. Esprit de la nuit. Un nom qu’on murmurait. Elle était une mais devenait plusieurs. Son identité n’avait plus de sens pour elle. On lui avait retiré ses chances d’être heureuse. Le destin en avait voulu ainsi et elle devait l’accepter. Les cartes n’avaient pas menti. Elle avait osé les écarter de la main, convaincue que son rêve serait plus fort que tout, mais le destin l’avait rattrapé et puni. La gamine n’en était plus une et elle devait faire face à la réalité. Sa triste réalité. Quelques minutes avaient suffi pour que son père perde l’usage de ses jambes. Quelques heures pour que les membres de sa famille comprennent qu’ils perdaient la principale ressource financière du foyer. Quelques minutes de plus pour qu’elle réalise qu’elle devait faire une croix sur ses plans pour le futur. Son monde idéalisé s’effondrait. Et tous les regards se portaient sur elle et son frère, les aînés. Aucune échappatoire possible sans provoquer honte et déchirement. Coincée dans cette ville qui les useraient à petit feu, comme elle l’avait fait sur leurs parents. Petits boulots après petits boulots, la gamine comprit qu’elle devenir autre pour survivre. Se sauver elle-même. Enterrer la jolie Kelly du lycée. La jeune Kelly qui vagabondait dans les rues à chercher la bagarre avec ses frères.  Qui s’intéresserait à une gamine paumée cumulant trois boulots pour nourrir ses frères et sœurs ? Elle ne voulait pas devenir une fleur fanée. Elle, si fraîche. Pleine d’énergie. Vivifiante. Passionnée. Elle voulait vivre. Ainsi elle devint Calliope. Nymphe de la nuit. Déesse aux formes poétiques. Songe qui vient se glisser dans les esprits. Ombre fugace qui réveille les instincts sauvages des plus avisés. Identité mystérieuse qui lui laissait réécrire sa vie sur une page blanche.

Quand on sait ce qu’on veut
Sa brosse glisse dans ses cheveux comme une caresse soyeuse. Le geste est quasi mécanique. Son esprit est à mille lieux de son enveloppe terrestre. Il vagabonde ailleurs. Elle les entend bourdonner autour d’elle. Les autres. Elle les laisse parler. Jacasser. Médire. Cassie est tombée aujourd’hui. Malgré la distance elle les épie du coin de l’œil à travers ce que reflète sa coiffeuse. Elles n’attendent qu’un faux pas de sa part. Une fausse note et tout son château de carte qui s’écroule. La vie n’est qu’un jeu pour elles. Un jeu de dominos que Calliope domine à cet instant présent. Oui Cassie est tombée aujourd’hui. Juste à côté d’elle. Mais Calliope n’a rien vu. Calliope n’a rien fait pour l’aider. Quand on tombe on se relève seul. Et on apprend de ses erreurs. C’est ce que sa vie lui a appris jusqu’à présent. C’est ce que cet endroit lui a rappelé maintes fois. Seule. Face aux autres. Le trophée ultime restant son regard. Un seul de sa part suffit pour que son cœur s’emballe. Il la considère. Il la voit. Elle n’est pas une parmi tant d’autres. Non. Son regard la transperce. La renverse. Il impose sa marque en elle en quelques secondes. Il peut en faire sa chose cela ne la dérange pas. Il lui a donné sa chance quand d’autres ne voyait en elle qu’un bout de fesses bon à vendre. Elle se fait virtuose quand il le lui demande. Créatrice de songes érotique. Voluptueuse et sensuelle. La magie de ses courbes ensorcelle le public. Capture les regards. Entrave les pulsions. Mais lui il la protège.