(nikos) it's fine, it happens all the time

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A l’ombre des chênes, se dresse une petite bâtisse coloniale. Des immenses vitres s’abreuvent des derniers rayons du soleil déclinant. Des plantes partout. Grimpantes, rampantes, envahissantes. Il fait claquer la portière de sa chevrolet tandis qu’il s’avance vers le porche. Lentement. Il se retourne un bref instant pour jeter un coup d’oeil lointain à l’immense propriété qui trône au milieu des cyprès. Ils n’avaient pas mentis à propos du terrain. C’est tellement immense que la maison principale paraît presque petite. Distante. Ils avaient tenus à ce qu’il prenne possession des lieux seul. Pour mieux s’approprier son nouveau chez-lui, qu’ils avaient dit. Nikos observe les alentours. La végétation est tellement dense qu’on ne voit pas à dix mètres. La petite maison dans lequel il va vivre les trois prochaines années fixées par son contrat a du caractère. Elle n’est pas toute fraîche, la peinture a bu trop de soleil mais ce n’est pas grave. Après tout c’est pour ça qu’il avait été embauché non ? Pour tout retaper, réparer, prendre soin, nourrir, dompter. Il venait de troquer les verres à shot pour une tondeuse autoportée, son bar s’était transformé en un jardin immense, son petit appartement au premier étage en une petite maison au fond d’une immense plantation. Et dire que tout avait commencé par une lettre. Une lettre… Qui poste encore des lettres ? Rhett et Annamae Tinsley apparemment. Un contrat de travail, accompagné d’une bafouille. Ils cherchaient une sorte d’homme à tout faire slash chauffeur slash jardinier. On lui offrait un logement, une compensation pour se nourrir et un salaire mirobolant. Le lieu lui paraissait relativement familier.

Bizarrement, la décision avait été facile à prendre. Qu’est-ce qu’il retenait ici ? Son bar était parti en fumée, un simple court-circuit une nuit d’orage pendant qu’il était en parti camper avec son père. A leur retour, le Roaring Lion n’était qu’un tas de cendres et de débris. Il revoyait l’expression désolée du capitaine des pompiers, un bon ami de son père. “On a fait ce qu’on a pu.” qu’il avait dit. La pluie diluvienne s’était arrêté quelques minutes avant que l’incendie se propage. Comme si Dame Nature avait autorisé ce désastre. Lorsqu’il s’était retourné vers son père, celui-ci pleurait. Les yeux rivés sur ce tableau digne de Goya.
Toute sa vie. Réduite en fumée. Tous ses efforts. Toute sa sueur. Tout son argent. Mais aussi son sang, ses blessures, ses secrets les plus noirs. Et le souvenir d’Elle. Partout. Et soudainement ça n’était plus.

Trois semaines plus tard, sa Chevrolet était chargée et il fonçait vers Lewisburg. L’esprit vide. C’était son père qui l’avait poussé. Qui lui avait dit que c’était sûrement un signe de Dieu qu’il était temps pour lui de se barrer. De “move on” comme ils disent. Mais quel Dieu ? Y a pas de Dieu. Nikos l’a découvert entre un feu de forêt et des textos qui s’envoient en vert  La porte d’entrée est difficile à ouvrir, il lui faut un léger coup d’épaule pour parvenir à la déverrouiller. Le silence s’abat sur lui, seuls les oiseaux à l’extérieur comble le silence. Des gros canapés crèmes trônent près d’une cheminée. Des plantes encore, partout. Du marbre et du bois, ici et là. Cossu et chaleureux à la fois. Ca change du noir et blanc de son ancien appartement. La cuisine, américaine, est petite mais bien équipée. La maison elle-même est relativement petite, seules les grandes fenêtres croisillons donnent cette impression de lumière et d’espace. Il a l’impression de jurer dans ce cocon de verdure. Mais au moins il n’y a pas de fantôme ici. Il ne verra pas le fantôme de sa silhouette allongé lascivement sur son canapé, ou penchée dans son frigo. Il n’aura plus d’hallucinations olfactives, persuadé de sentir son parfum dans ses draps les soirs de lune noire. Night Falls était devenu un théâtre hanté de leurs souvenirs, ça faisait longtemps que les rideaux avaient été tirés mais la pièce continue de se jouer dans sa boîte crânienne. Une broche en argent, une robe bordeau déchirée, un bleu sur la pommette, du verre cassé, des restes de Jack et de vodka et du sang. Du sang partout.

Ici tout est blanc. Beige. Pur. Crème. Vert. Ici c’est la promesse d’écrire un nouveau livre à l’ombre des peupliers. Là où les fantômes n’existent pas, là où les démons ne le torturent pas. Il aime croire qu’il a tout laissé à la sortie de la ville. Que les seuls bagages qu’il a emporté son ceux entassés à l’arrière de la Chevrolet. Ici, c’est calme. C’est clair. Il y a de la lumière. Au revoir la neige boueuse, le béton cramé et le sol qui colle à cause de la bière renversée. Ici, ça sent bon. Ici il y a des bougies qui attendent d’être allumées, des draps qui ne demandent qu’à le border et des arbres qui veulent juste l’aider à respirer. Lui qui toute sa vie a étouffé.