Nuit magique - Fauve

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01. Déchirement intense qui se transforme en amour éternel. Matinée de septembre pluvieuse où la rosée des fleurs s’agglutine sur la vitre de cette chambre humide, lourde de chaleur. Tout est en apesanteur, comme si rien n’était réel, elle, toi et c’est tout. Tu sens cette douceur, ses lèvres craquelées, cette bouche déshydratée, à peine charnue se posant sur cette fontanelle à moitié brisée, le cœur palpitant à l’intérieur et toi qui hurle, hurlant de bonheur d’être enfin en vie, de rencontrer l’amour de ta vie si tôt, pour ne plus jamais la quitter, elle, ô elle. Ta mère et ses cheveux de jais, et sa bouche rose, ses taches clairsemées sur ses pommettes, souriant dans cette chambre en désordre, parce qu’elle n’aimera jamais quelqu’un comme elle pouvait t’aimer en cet instant précis. Toujours, à jamais. Ils étaient trop jeunes, trop inconscients que pour élever un gosse les deux jeunes Warren, à peine mariés, cause d’un ventre se gonflant trop rapidement. Ils s’aimaient les deux gamins Warren, sûrs de pouvoir tout affronter, s’écorchant les genoux en même temps que toi, apprenant à affronter la vie, hurlant de peur au moindre petit toussotement, s’amusant à créer des fusées de bois, leurs doigts s’entremêlant pour ne former qu’un seul être, faisant des ombres de conte de fées sur le mur, toi obsédée par cette princesse qui arrive à s’en sortir toute seule, parce qu’elle n’a besoin de personne pour arriver à ses fins, et toi tu n’as jamais oublié Fauve, les mots doux, tendres de cette mère ne dépassant pas la vingtaine te disant que tu réussirais tout ce que tu entreprends, qu’il ne fallait que la foi, la confiance et un peu de poussière de fée.
02.Les marelles effacées par la pluie, les flaques prenant une de ces couleurs pastel, diluant vos souvenirs d’enfant, les dalles déglinguées, et vous deux, refaisant le monde, explorant cette jungle inventée de toute pièce. Sa petite main douce se perdant dans la tienne. Douce, qui te regarde avec ces yeux rêveurs et toi qui crève d’amour, gamine qui n’aurait jamais penser atteindre le nirvana en partageant tout cet amour. Douce et Gamine, deux enfants heureux, les mains pleines de traces de feutres, les coudes craquelés, des vêtements trop courts, des fils dansant à chaque recoin de ces pièces de tissus et vous vivez les Warren, heureux de ce que vous avez, parce que vous n’avez rien, sauf vous, vous quatre. Les rires cassent les codes, s’entremêlent dans cette journée venteuse, les parapluies se retournant et vous, inonder de lumière. Tes cheveux bruns se collant à tes joues, la buée prenant place sur tes lunettes rondes, Douce qui tombe, qui se relève, ses collants blancs salis de boue, et la vie qui reprend, comme un chemin de brique jaune, marchant à cloche pied. Invincibles Warren, dansant main dans la main sur des airs de Poppins, cherchant des dalles aquarelles, pour s’enfoncer dans un monde imaginaire, dans un monde où les Warren ne sont pas fauchés, où les parents ne crèvent pas de faim pour que les deux fillettes puissent grandir.
03.Les bottes noires claquant dans les couloirs, The Scorpions dans les oreilles, tu déambules morose dans cet enfer où les gens ne regardent que tes vêtements de pacotille, se moquant des épingles, des trous, de ces t-shirts trop grands pour ce corps naissant, retard de développement pour cette gamine adolescente que tu es devenue. Tu es devenue cette fille-là, la fille souriante, qu’on aime bien, qu’on n’approche pas spécialement, celle qu’on choisit en dernier en cours de sport parce qu’elle est bizarre, parce qu’elle est pauvre, parce qu’on dit qu’ils ont des rats chez eux. Méchanceté comme des gouttelettes de condensation qui s’évapore sur les vitres de cette voiture fonçant dans un mur. Tu ne leur en veux pas, c’est l’adolescence, s’ils parlent de toi, c’est que tu es importante Fauve et tu avances, parce que tu crèverais si tu étais comme eux, bouffés par cette noirceur qui ne te touche pas. Tu t’imagine dans un autre monde, regardant la danse des feuilles mortes et les souvenirs d’une vie antérieure te revienne, où tu étais belle, riche, et importante, avec une famille respectée. Une pensée d’un moment, le regret d’une vie, d’aimer ta famille mais d’en vouloir plus, pour être appréciée, réellement, juste un jour, juste une heure.
04.Monde de couleur, de papier glacé, randonnée dans les pages. Tu te vois comme dans une bande dessinée, dans cet uniforme trop grand pour toi, avançant avec fierté. Académie de police, comme une évidence, pour cette gamine que tu étais, qui voulait colorer le monde, prendre un pot de gouache et le balancer sur la gueule des gens pour que tout soit plus beau, un monde en pop art, où tout ne serait que bonheur. Tu t’en es pris plein la gueule, en gardant ton sourire, en écoutant les préjugés, t’érodant, devenant ce que tu es, gardant dans ta poche cette pièce de bronze, celles que les autres ont parié quand ils ont misé sur toi comme première personne qui abandonnerait. Quatre personnes autour de cette pièce, une seule qui se retrouve à côté de toi, te souriant parce que vous y êtes arrivés, parce que c’est ensemble que vous allez peindre le monde, recréant le monde sur ce banc, un sandwich triangle hors de prix à côté de vous, souriant, et toi qui crève pour ce sourire, pour ce garçon pour qui tu donnerais absolument tout. Un meilleur ami, comme tu n’as jamais eu, qui n’a jamais réussi à comprendre, à comprendre que tes yeux se transforment en constellation quand il est prêt de toi, et tu le laisses partir, tu te brûles les doigts en tenant cette corde, trop serrée, qui t’échappe quand il s’éloigne, sans se retourner, sans jamais regarder derrière lui, sans voir les larmes perlant sur tes joues nacrées, sans comprendre que toi, ô toi tu pourrais l’aimer toute ta vie, créant un mur des merveilles autour de vous, pour que les bombes ne vous atteignent jamais, créant de nouvelles formes dans les nuages, les cherchant ensemble dans cette herbe humide.
05.Craquement de cet arbre percuté. Les hurlements qui s’apaisent pour ne laisser que le silence, mort de ces deux personnes qui ne s’aimaient plus, qui n’arrivaient plus à créer de belles histoires, de cette femme morte de son cœur brisé, de cet homme qui voulait un nouveau monde, avec cette autre, celle qui arrivait à le faire sourire, qui arrivait à lui donner à manger tous les jours. Pluie intense, brouillant tout, brouillant son cœur, son âme, de cette femme qui inconsciemment appuya sur la pédale, encore plus fort, essayant de tout dégommer, de se réveiller, pour que ça ne soit qu’un rêve, qu’ils en rigolent au matin, que son mari qu’elle aime depuis plus d’une vingtaine d’années soit dans le salon, les pieds sur la table basse, sa chaussette trouée et elle, se logeant dans ses bras pour qu’il vienne lui poser un baiser sur le front, lui disant qu’elle est stupide de penser à des choses comme ça, qu’il l’aimera toujours, mais la blessure réveille toutes les réalités. L’homme qu’elle aime n’est plus, vacillant, du sang sortant de sa bouche, attaché par cette ceinture qui ne les aura pas épargné et elle, fermant les yeux, se laissant mourir, pour le rejoindre, parce qu’elle lui a été fidèle toute sa vie, souriant en pensant à ces deux filles, devenues grandes qu’elle ne verra plus jamais, qu’elle ne prendra plus jamais dans ces bras, pensant à sa douce qui n’a pas réussi à tourner droit, qui virevolte, tombant pour mieux se relever, pensant à sa gamine qui aime la vie, qui se battra malgré tout, qui ne pleurera la mort de ses parents que quand elle sera dans sa chambre, se dégommant les phalanges en hurlant un monde si injuste et madame Warren s’endort, dans un monde blanc, te laissant toi, Fauve, seule, alors que tu avais encore tellement besoin d’elle, d’elle et de sa douceur, de son odeur, de sa voix te murmurant que tout ira bien, dans ton oreille.
06.Couleurs qui se mélanges, le roux de ses cheveux passant devant tes iris, le rire te piquant le cœur. Tu ne sais pas vraiment comment tu as débarqué là, une annonce, et tu étais là, parce que tu ne voulais plus vivre seule, dans cette maison qui n’était plus la tienne maintenant qu’ils n’étaient plus là. Tu les entendais te hanter, sa voix te parlant quand tu étais dans ton lit, les portes claquantes et tu n’as pas supporté alors tu es partie, lâchement. Tu as commencé à vivre avec Callie, Callie qui avait besoin d’aide pour garder Elliott, Elliott et son sourire, Elliott avec qui tu as tout de suite eu un lien, parce que vous étiez pareils, parce qu’il n’avait pas eu de chance, que sa maman est morte à lui aussi. Tu t’es vite sentie chez toi dans cet appartement, mettant de l’encens partout, apprenant au petit à faire des ombres sur les murs, à collectionner plus de cactus que de raison. Entourés de ces animaux, de cette vie, tu as réussi à reprendre la tienne, à récupérer ce sourire qui a essayé de s’échapper, colombe en plein vol, pour atterrir sur ton cœur. Tu ne te vois plus autre part Fauve, que là, dans cette chambre, à jouer à Guitar Hero, à chanter du Aerosmith avec Elliott, à te chamailler avec Callie concernant les meilleurs paquets de biscuits à acheter, comme une deuxième famille, construisant votre univers, votre tente de couverture petit à petit, ne voulant jamais en sortir, en sécurité, ensemble.
07.Mélange de cultures, peintures qui giclent sur une toile surréaliste. Groupe de musique trop passionnel, cinq autres, qui n’ont rien à voir, cinq personnes s’écorchant pour essayer de rentrer dans le moule, sans jamais y arriver. Cinq amis qui se réunissent dans ce bar un peu grunge, à utiliser des guitares, des kalimbas, à se crever le cœur, à vivre la vie. Vous n’êtes pas spécialement doués, vous ne ferez jamais carrière, pour sûr mais vous kiffez la vie, vous hurlez votre amour, dansant, vous prenant les pieds dans les fils, vous trompant dans les paroles une fois sur deux. Tu en perds toute crédibilité quand tu remets ta tenue de flic, et qu’on te reconnait, souriant, se rappelant de cette Fauve passionnée, avec sa basse, à chanter, à danser comme une folle sur cette scène beaucoup trop petite pour que tu puisses te libérer, explosant pour finalement te retenir, grenade en plein cœur.
08.Tu souffles sur cette bougie qui change tout, comme une remise en question, te rendant compte que tu n’as pas accompli grand-chose dans ta vie, le compteur tournant et toi qui n’arrive pas à l’arrêter, te concentrant sur des rituels, des tocs insensés qui arrivent à te faire tenir le fil, à ne pas craquer en envoyant tout le monde valser. Tu rêves de voyage, de partir, visiter l’Europe, l’Italie et son art, mais tu crèves de trouille Fauve, parce que tu as peur d’être abandonnée, que Callie ait trouvé quelqu’un d’autre pour froisser tes draps, qu’il ait trouvé quelqu’un d’autre avec qui construire le monde sur ce banc, que ta sœur ait réussi à remonter la pente sans toi, ô Fauve, tu crèves de trouille de ne pas être irremplaçable, de te rendre compte de ton insignifiance amère.